“Œconomicae et pecuniariae quaestiones”: l’éthique dans le système économique et financier
Depuis les crises de 2007-2008, il s’est avéré que la méfiance est plus que jamais patente vis à vis des décideurs économiques (et politiques). Il doit être considéré comme urgent d’expliquer la valeur ajoutée de l’économie moderne pour l’ensemble des acteurs, à condition, simultanément, d’identifier les excès et faiblesses du système capitaliste, afin de garantir son acceptation, en s’engageant notamment à en améliorer le fonctionnement. C’est sur ce diagnostic que le Vatican a publié récemment le texte Œconomicae et pecuniariae quaestiones.
Quelques six points clés peuvent y être identifiés. – D’abord l’affirmation d’un besoin fort d’éthique pour assurer une économie saine fondée sur quatre piliers : liberté, vérité, justice et solidarité, auxquels s ajouté la responsabilité du consommateur quant à ses choix d’achat de produits dont il conviendrait de s’assurer qu’ils sont élaborés dans des filières respectueuses des droits de l’homme ; – Cela détermine le véritable enjeu de l’économie, telle que définie d’ailleurs par Aristote : le bien-être de la plupart des humains, aptes à bénéficier de la prospérité et à profiter de la qualité de la vie dans toutes ses dimensions. Ce qui signifie que le PROGRES ne peut être mesuré exclusivement en termes quantitatifs, financiers ou autres ; le profit ne peut être conçu comme recherché « à tout prix », comme une « référence totalisante de l’action économique » ; – Notamment l’activité financière ne peut être vue au service de l’économie réelle que si elle crée de la valeur par des moyens moralement licites et acceptés politiquement (le rapport du HLEG sur la finance durable, remis récemment à la commission de l’UE est pleine de recommandations pertinentes en ce sens) ; – Bien sûr la contribution des entreprises participe de la redistribution des richesses – y compris dans les démocraties – par la fiscalité, pour soutenir aussi les investissements (dont l’entreprise bénéficie et au titre desquels elle est « redevable » : éducation, infrastructures, sécurité…). Aussi tout contournement fiscal apparaît-il comme une ponction injuste de ressources et un préjudice pour la collectivité ; – Il n’est plus aujourd’hui accepté qu’on puisse « abuser de sa position dominante au détriment d’autrui », ni s s’enrichir « en nuisant au bien-être collectif ou en le perturbant » ; – Chaque entreprise apparaît comme un faisceau relationnel avec sa culture propre, une communauté humaine qui doit déterminer le sens (signification et direction) de son action. Cette prise de position du Vatican est presque une synthèse des nombreuses requêtes pour une économie plus humaniste tandis que l’on voit monter une demande politique pour que les entreprises européennes affirment leurs valeurs spécifiques.
Au niveau international, l’ONU a traduit ces attentes dans la mise en place des Objectifs de Développement Durable. On parle couramment de recherche de sens par les salariés et les parties prenantes des entreprises et il est de plus en plus admis que les entreprises travaillent pour le bien commun (cf. ÉCONOMIE DU BIEN COMMUN – Jean Tirolle,2016). C’est pourquoi l’Institut du Capitalisme Responsable (ICR) a dès sa création vu se rassembler ceux qui estiment que les entreprises, pour créer de la richesse dans la durée, doivent avoir un comportement équitable. Dans cette logique l’ICR a pris position en faveur des éléments prévus dans le projet de loi Pacte et s’est engagé pour une adoption des recommandations du rapport Notat – Sénard. L’idée force est bien d’avoir une communauté économique unie parce qu’apaisée, en phase avec l’attente des citoyens pour un monde meilleur. En paraphrasant David Barroux dans son récent éditorial des Echos, qui affirmait que « les multinationales ont compris qu’elles devaient s’engager en faveur d’une Good Tech « nous souhaitons que les responsables d’entreprise prennent tous et très vite le chemin d’un Good Business. Philippe Peuch Lestrade Directeur Général Délégué de l’Institut du Capitalisme Responsable (ICR) et Strategic Senior Executive de l’International Integrated Reporting Council (IIRC) Pour une finance au service des liens humains Publié le 17 mai 2018à 16h50 Commentez 3 Le Vatican a publié le 17 mai 2018 un document qui porte une charge inédite contre la « puissance de nuisance sans égal » des marchés financiers.
Pour remettre l’économie mondiale sur les rails de l’éthique, ce texte propose une série de pistes pratiques, de la régulation supranaationale des marchés à la lutte contre l’évasion fiscale. Compliance, shadow banking, finance off-shore, produits dérivés, intermédiation… C’est certainement la première fois qu’un texte magistériel de ce niveau aborde les questions économiques et financières avec une telle technicité. Ce document au nom latin (Oeconomicae et pecuniariae quaestiones), regrette que les leçons de la crise financière de 2007-2008 n’aient pas été tirées jusqu’au bout pour « repenser les critères obsolètes qui gouvernent le monde ». Le propos ne manquera pas de faire réagir les milieux d’affaire, y compris catholiques, hostiles à toute forme de régulation des marchés. On peut déjà anticiper les termes de leur fin de non-recevoir : que les théologiens s’occupent de leurs affaires et non pas d’économie et de finance. « Une alliance entre savoir technique et sagesse humaine » Mais la signature conjointe de la Congrégation de la doctrine de la foi et du récent Dicastère pour le Service du développement intégral (une collaboration inédite qui est déjà en soi un indice des avancées de la réforme de la curie menée par le pape François) anticipe déjà sur la critique. Les considérations éthiques que propose l’Église catholique « sur quelques aspects du système économique actuel » découlent de sa compréhension de l’économie : elle devrait renforcer les liens humains et non pas les affaiblir. >Vidéo : Le Vatican et la finance mondiale L’examen détaillé de quelques pratiques financières auquel procède le document montre que le système en vigueur, par déficit de régulation et de contrôle, est loin du compte. La finance n’est pas diabolisée – l’activité de crédit y est même présentée comme une « fonction sociale irremplaçable ».
Mais pour être vertueuse et servir la justice, elle a besoin d’une orientation fondamentale qu’elle ne peut se donner elle-même. C’est parce qu’elle sait la fragilité des liens humains et la perversion toujours possible des institutions économiques, que l’Église appelle à une « alliance entre savoir technique et sagesse humaine ». >Lire aussi : Intérêt et usure, une longue tradition de discernement ► Retrouvez le texte intégral de « Œconomicae et pecuniariae quaestiones » ici Dominique Greiner