Position paper | Favoriser l’actionnariat individuel pour répondre aux défis d’un capitalisme responsables ?
Position paper | Favoriser l'actionnariat individuel pour répondre aux défis d'un capitalisme responsables ?
La France doit agir pour retrouver un actionnariat individuel solide et stimulant
La faiblesse de l’actionnariat individuel est une spécificité française malheureuse ! De fait, plus d’un Français sur huit détenait des actions en direct en 2008 (6,5 millions de personnes), ils ne sont plus qu’un sur treize en 2016 (3 millions)[1], soit une baisse de -53 % en 8 ans ! Entre 2000 et 2014, la part du patrimoine financier des ménages français investie en actions cotées a chuté de 8,8 % à 4,2 %.
Il est urgent d’agir pour redresser ces chiffres, car l’actionnariat individuel est vital :
- Pour les entreprises, grandes et petites, qui en ont besoin pour leur financement et la stabilité de leur capital, leur gouvernance et leur lien avec le pays siège ;
- Pour les ménages, qui doivent diversifier leur patrimoine et financer leur retraite pour s’assurer des revenus stables de long terme ;
- Pour l’économie française, qui a besoin d’uneépargne productive et d’épargnants qui en comprennent bien les ressorts.
Une situation insatisfaisante
Le recul de l’actionnariat individuel s’est fait en deux temps. Une première vague a eu lieu après les nationalisations de 1981 et suite à la libéralisation des mouvements de capitaux et l’internationalisation des marchés financiers. Durant cette période et à partir des années 1990, l’actionnariat individuel a connu une reprise liée aux privatisations, pour atteindre son pic en 2003 : 12 % des Français étaient alors actionnaires. Puis, seconde rétractation, avec la crise financière – dite aussi « crise de confiance » – de 2008. Les motifs de ce recul sont nombreux : une fiscalité élevée et très changeante, un contexte boursier instable (avec des crises plus ou moins intenses en 2000, 2008 et 2010), une croissance économique faible, et une aversion individuelle aux risques – très française – ont entraîné un reflux important et qui semble durable.
Toute l’Europe a connu le reflux mais dans des proportions diverses tant les cultures boursières sont différentes d’un État à l’autre. Chaque pays a ses caractéristiques d’actionnariat du fait de son histoire, de ses traditions de placement de l’épargne et de la structure de son système de retraite, mais aussi des diverses politiques mises en place. Dans les années 1990, les privatisations françaises – par exemple – ont très sensiblement accru le nombre d’actionnaires : 3 millions de nos compatriotes ont ainsi acheté des titres Elf Aquitaine, 2,8 millions des titres BNP.
En France, en 2013, près de 8,5 % de la capitalisation boursière nationale (soit environ 170 Mds€) sont détenus directement par des actionnaires individuels, tandis qu’en Allemagne, 4,5 millions d’actionnaires individuels (5,6 % de la population) détiennent 12,2 % de la valeur boursière. Sachant qu’en réalité, l’actionnariat individuel y est plus important puisque la tradition germanique consiste à investir dans des petites et moyennes entreprises non cotées[2].
En Grande-Bretagne, les investisseurs individuels sont 9 millions, soit 14 % de la population. Ils investissent près de 1,5 fois plus que leurs homologues français. Ils détiennent 11,2 % de la capitalisation boursière nationale totale, qui, à près de 4 200 Mds€, est la plus élevée d’Europe.
Il est à souligner que les pays nordiques, au système social pourtant fortement avancé, sont aussi les pays où le capitalisme individuel est le plus élevé. En Suède – où l’actionnariat salarié est très développé, 14 % de la population a investi en Bourse et les actions représentent 40 % du patrimoine des ménages.
Le moment d’une remontée
Différents facteurs permettent d’espérer une nouvelle remontée de l’actionnariat individuel.
Les premiers sont d’ordre macroéconomique :
- Les taux d’intérêt devraient être relevés mais rester faibles au regard de l’inflation, elle-même durablement tirée vers le bas par la concurrence et l’innovation. Tous les produits financiers attachés aux taux sont condamnés à des rendements faibles pour plusieurs années.
- Les systèmes de retraite par capitalisation ont souffert pendant la crise, mais les systèmes par répartition sont mis à mal par le vieillissement des populations. Autrement dit, il devient prudent pour tous les États d’aller vers un système dual. Dans des pays comme la France où la succession de réformes a réduit l’intérêt de la retraite par répartition, les ménages devraient à nouveau se tourner vers la capitalisation, sous des formes et avec des prises de risques variées.
Le second est d’ordre sociétal :
- Le développement de l’économie participative, du crowdfunding, mais aussi de l’actionnariat éthique pousse des citoyens à vouloir nouer des liens directs avec l’économie réelle. De nombreuses petites entreprises devraient trouver du capital grâce à cette vague, tandis que les plus grandes devront inventer des moyens d’y participer.
Pourquoi agir pour retrouver un actionnariat individuel important ?
D’abord pour le bénéfice des entreprises elles-mêmes. Les marchés se sont complexifiés ces dernières années et ont multiplié les instruments financiers. Les sources de financement ne manquent pas. Dans une époque schumpétérienne de développement de l’entrepreneuriat – en 2016, 554 000 entreprises ont été créées en France, soit 6 % de plus qu’en 2015[3] – l’actionnariat individuel redevient majeur : pour aider le créateur, le soutenir et l’accompagner.
Les grandes entreprises françaises savent qu’elles ont intérêt, elles aussi, à nouer des relations suivies et de qualité avec les actionnaires individuels. Il est établi que les particuliers sont fidèles aux sociétés dans lesquelles ils investissent avec une durée moyenne de détention d’une action de 42 mois, contre 18 pour un investisseur institutionnel, et 6 pour un investisseur institutionnel étranger.
Les actionnaires individuels sont en outre relativement actifs dans la gouvernance des entreprises. Même si les questions paraissent parfois décalées (ainsi lors des AG 2016 : N’est-ce pas trop de reculer l’âge limite du Président et du Directeur Général à 72 ans ? Qu’en est-il de votre prochain retrait ?), la démocratie actionnariale quand elle fonctionne permet de mieux saisir les préoccupations des investisseurs individuels qui sont de plus en plus d’ordre éthique, liées à la RSE et au développement durable.
Ensuite pour les ménages. Les Français, connus pour leur forte propension à épargner, concentrent leur patrimoine sur des placements peu risqués, non rémunérateurs et déconnectés de l’économie réelle. Avec l’un des taux d’épargne le plus élevé d’Europe (15 % du revenu disponible brut à la fin du semestre 2015), les Français restent frileux à l’idée d’investir sur les marchés financiers (4,2 % du patrimoine financier des Français investis en actions cotées en 2014). La Bourse est aujourd’hui très volatile et faussée par le trading haute fréquence. Rares sont aujourd’hui les valeurs qui peuvent garantir d’être un placement de « bon père de famille » comme naguère, la croissance lente mais continue disparaissant peu à peu. Mais le placement boursier regagne de l’attrait si ce n’est par la hausse des cours du moins grâce aux dividendes aujourd’hui réguliers et élevés, voire très élevés par rapport aux taux des autres placements. La France est ainsi le 4ème pays à avoir versé le plus de dividendes en 2015 avec une hausse de 11,2 % en 2016 (moyenne Europe 4,3 %), contre 3,3 % au Royaume-Uni[4]. En outre, les placements dans des valeurs moyennes, pour plus risqués qu’ils sont, permettent aujourd’hui des gains très importants. Certains investisseurs peuvent prendre ce risque, il faut en multiplier le nombre.
Enfin pour l’économie française. Quand la détention par les banques et les assurances des actions est rendue plus difficile par les réglementations, le placement direct redevient nécessaire. L’actionnariat individuel est un axe du contrôle du capital des entreprises françaises qu’il faut renforcer.
Mais l’intérêt pédagogique est fondamental. Détenir une action, c’est s’intéresser de près à « son » entreprise, aux concurrents, aux marchés, à la Bourse, à la conjoncture, à la politique économique… C’est un plongeon dans la réalité, la découverte in vivo du monde économique.
Pour le moins, cette découverte devrait être élargie dans la population française, abreuvée de discours politiques mais trop coupée du monde des entreprises. L’actionnariat individuel est l’outil le plus puissant pour développer la culture économique des Français.
[1] Baromètre « SoFfia », TNS Sofres / La Poste, 2016
[2] L’actionnariat individuel en Europe, IESEG School of Management, 2014
[3] Les créations d’entreprises en 2016, INSEE
[4] Henderson Global Dividend Index, 11ème édition, Août 2016