La recherche du profit doit-elle être le seul objectif des entreprises ?

Analyse d’Edouard Dubois, Vice President-Corporate Governance & Responsible Investment de Black Rock

Un des grands défis que les sociétés du XXIe siècle doivent relever consiste assurément à trouver le bon équilibre entre le court-terme et le long-terme, entre le besoin de flexibilité et de pérennité. L’environnement économique n’a jamais évolué aussi rapidement. La compétition s’intensifie, principalement du fait des évolutions technologiques, d’une évolution plus rapide des préférences des consommateurs, de la globalisation et d’une circulation plus rapide des informations et des capitaux. Il y a par ailleurs une attention hystérique sur les résultats trimestriels amplifiée par les médias et les analystes sell-side.

Une grande enquête de McKinsey auprès d’un millier de dirigeants et administrateurs dans le monde, réalisée en 2015 et 2016, montre que ces pressions court-termistes n’ont fait que s’accentuer[1]. Lorsqu’il leur est demandé les sources de ces pressions,  40% des répondants se désignent eux-mêmes (conseils d’administration et comités de direction) comme une des principales sources de pression court-termiste. C’est un résultat inattendu alors que les actionnaires sont généralement désignés comme les principaux coupables. Trop souvent les administrateurs et dirigeants agissent sur la base d’idées pré-conçues de ce que le marché attend d’eux. On accorde trop d’importance à celui qui fait le plus de bruit, que ce soit un actionnaire activiste ou un broker, plutôt qu’à la parole des actionnaires de long terme. Dans leur rapport, les auteurs du Focusing Capital on the Long Term (FCLT) expliquent que les dirigeants s’enferment dans un cercle vicieux : ils pensent que les investisseurs attendent d’eux une performance financière immédiate et communiquent donc des objectifs et des indicateurs de court-terme, ce qui pousse les investisseurs à s’aligner sur cet horizon pour lequel ils ont les données nécessaires à leur analyse.

Les managers doivent également faire face à des pressions psychologiques et des biais cognitifs. Nous avons tous, plus ou moins consciemment, une préférence pour la certitude du court terme par rapport à un futur incertain. De plus la légitimité d’un dirigeant repose également sur la confiance de ses équipes, qui vont souvent attendre des résultats immédiats. Dans cet environnement il est essentiel que le conseil d’administration serve de rempart et s’assure que le dirigeant garde le cap fixé.

La résilience et la pérennité d’une société nécessitent une vision de long terme avec des investissements au rendement parfois lointain. Les investissements dans l’innovation et dans les moteurs de la production future, le développement des talents humains, la construction de relations stables et fiables avec les fournisseurs font partie des actions qui vont assurer la capacité de l’entreprise à assurer une profitabilité future. Celles qui ne le font pas sont assurées de disparaître. Les sociétés doivent donc avoir le courage de prendre des décisions de long terme même lorsque celles-ci pourraient impacter négativement le court terme.

Une stratégie de long terme signifie avoir une vision claire, une feuille de route détaillée avec des objectifs de moyen et long terme liés à la création de valeur. La vraie difficulté consiste à trouver l’équilibre nécessaire entre l’horizon de temps, le degré de formalisation de la stratégie et le besoin de flexibilité et de réactivité nécessaire pour faire face aux défis de l’économie d’aujourd’hui. Il est indispensable d’avoir un plan détaillé à long terme, mais celui-ci doit être périodiquement actualisé par le conseil et le management afin de s’assurer de sa pertinence en prenant en compte les évolutions du marché.

Nous vivons en pleine dissonance cognitive : alors que les bienfaits d’une approche de long terme sont reconnus par tous, de moins en moins de dirigeants l’appliquent. Les plans stratégiques, lorsqu’ils existent encore, ont rarement un horizon de temps à plus de trois ans et souvent moins. Une étude conjointe de McKinsey et de FCLT a montré que les sociétés qui ont une culture du long terme ont surperformé leurs pairs sur presque toutes les mesures financières[2]. De manière cumulée entre 2001 et 2014 les sociétés de long terme avaient en moyenne des revenus supérieurs de 47% et des bénéfices 36% plus élevés. Ces sociétés ont créé en moyenne plus de 12000 emplois que les autres sur la même période. Elles se distinguent par des politiques d’investissement dans la recherche plus agressives et plus continues, même en période de crise. Comme le fondateur qui voudrait léguer sa société à ses enfants, un dirigeant doit réfléchir à son héritage.

[1] Jonathan Bailey, Dominic Barton, and Joshua Zoffer, Rising to the challenge of short-termism, FCLT Global, September 2016, fcltglobal.org. Voir aussi: Short-termism: Insights from business leaders,” survey commissioned by McKinsey & Company and the Canada Pension Plan Investment Board, January 2014, fclt.org.

[2] McKinsey Global Institute, Measuring the Economic Impact of Short-Termism, Discussion Paper, Feb. 2017.