Démocratie actionnariale et démocratie : des parallèles qui conduisent à soutenir la loi Pacte

Par Viviane de Beaufort, Professeure à l’ESSEC Business School

La gouvernance publique et la gouvernance d’entreprise posent des questions similaires

La revendication de plus de transparence et la question essentielle de la confiance animent, voire perturbent les débats actuels des démocraties traditionnelles, à tous les niveaux de la société. Désormais le citoyen – individuellement ou en mode collectif – cherche à intervenir de manière plus ou moins structurée dans le processus de décision. A côté des corps intermédiaires classiques se font et défont des relais et alliances, avec d’autant plus de facilité que les réseaux sociaux permettent ces mobilisations d’impulsion. Et, tandis que les représentants publics recherchent la confiance (perdue) des citoyens, les entreprises prennent également la mesure de la nécessité d’une gouvernance éthique et pérenne, autour du concept de démocratie actionnariale.

Une « nouvelle entreprise » se construit qui non seulement intègre les parties prenantes et élargit le concept d’intérêt social à des considérations sociétales et environnementales, mais au-delà pose la question d’une possible mission attribuée à l’entreprise par ses fondateurs et/ou actionnaires (loi PACTE).

On ne manquera donc pas d’être tenté de faire un parallèle entre des actionnaires encouragés à s’investir à l’aide de nouveaux textes, dont la directive Shareholders[1], en cours de transcription, et les lois dites de moralisation de la vie publique. Tandis que le droit des sociétés réaffirme et étend les droits des actionnaires dans un ultime effort pour susciter leur engagement au nom de l’intérêt social élargi de l’entreprise, la réglementation concernant les décideurs publics et les acteurs privés tend au même objectif : assurer une démocratie saine où transparence et égalité d’accès à l’information sont garanties afin d’obtenir des décisions approchant au plus près l’intérêt général.

Ainsi, entre Etats et entreprises, bien que les acteurs changent, les problématiques et les solutions se ressemblent. La démocratie comme la démocratie actionnariale s’articulent autour des mêmes questions : quid de la qualité des décideurs ? De la transparence du processus décisionnel ? De la capacité des minoritaires à intervenir et faire entendre leurs intérêts ? Comment conjuguer intérêts privés et intérêt général ? Quels contre-pouvoirs ?

3 concepts essentiels

Trois concepts, simples à coucher sur le papier mais difficiles à appliquer sous-tendent les réponses : le principe de transparence, la présence de contre-pouvoirs modérateurs et un processus de responsabilisation sont les principes fondateurs d’une gouvernance.

L’organisation du gouvernement d’entreprise dépend de la conception qu’on se fait du rôle de l’entreprise dans le pays considéré. De la même manière que les fondements d’un régime étatique sont gravés dans une histoire, mais subissent aujourd’hui une évolution commune liée à la globalisation et à l’émergence de nouvelles revendications participatives citoyennes,  ceux de la gouvernance d’entreprise s’inscrivent dans des conceptions culturelles diverses variant de la gouvernance étatique où l’Etat a joué un rôle important comme en France et d’autres pays latins, salariale où les salariés sont associés comme dans le système rhénan, et capitaliste où la place des actionnaires domine comme aux USA. Cependant ces systèmes s’entremêlent désormais, empruntent l’un à l’autre des dispositifs, mus par une commune évolution liée à l’internationalisation de l’économie.

La gouvernance d’entreprise est cadrée par des éléments de droit des sociétés et de droit boursier, mais aussi par une large part de soft law, et à un degré plus fin : politiques de vote des investisseurs institutionnels, recommandations des agences de conseils en vote (proxies), puis choix des statuts des entreprises, pratiques de gouvernance individuelles, etc.

LA 1ÈRE PRÉOCCUPATION EST D’ASSURER LA TRANSPARENCE 

L’actionnaire et les parties prenantes, dont les salariés, sont censés avoir accès à un maximum d’informations (la limite étant le secret des affaires) ; d’où la multiplication des rapports financiers puis extra-financiers, des rapports intégrés, des rapports de gouvernance étoffés[2], mais aussi les communications en cas d’évènement important, le dialogue continu institué de plus en plus souvent, au-delà du grand RDV que constituent les AG[3]. Au-delà le droit d’obtenir rapidement et de manière claire réponse aux questions posées tant à l’Etat qu’au dirigeant.

LA 2ÈME PARTICIPE DE L’ÉQUILIBRE DES POUVOIRS 

L’équilibre des pouvoirs s’opère en entreprise au travers de mécanismes de gouvernance (conseil moniste ou dualiste, séparation des fonctions de dirigeant et président du Conseil d’administration ou administrateur référent, administrateurs externes, comités, etc.) et de dispositifs spécifiques protecteurs des actionnaires notamment des minoritaires : droit de vote mais aussi droit de questionnement, droit de proposer des résolutions, possibilité de nommer des administrateurs externes, etc. Par ailleurs des dispositifs le plus souvent de nature législative en France mais souvent intégrés dans les codes de gouvernance cadrent les thématiques spécifiques où peuvent émerger des conflits d’intérêt : conventions réglementées, rémunérations des dirigeants…

LA 3ÈME RELÈVE DU PRINCIPE DE RESPONSABILISATION GÉNÉRALISÉE DES DÉCIDEURS

Les frontières entre intérêts de l’entreprise et de l’Etat évoluent. On passe de l’économique au politique : avec la responsabilité sociale de l’entreprise, l’entreprise est désormais évaluée au-delà de sa dimension financière, par son impact social et environnemental. Le système politique est désormais évalué selon son efficience démocratique mais aussi économique. Liberté des médias, responsabilisation des politiques, clarification des rôles des instances représentatives, lobbying responsable, open data sont autant de facteurs permettant une démocratie moderne où l’expression directe du citoyen est intégrée dans ses intérêts privés ou catégoriels, professionnels, économiques, sociétaux, puis l’arbitrage réalisé par le pouvoir au nom de l’intérêt général. Le parallèle est aisé à faire pour l’entreprise.

L’EXERCICE DE MORALISATION

Ce parallèle réalisé, considérons que la Loi PACTE est à l’entreprise ce qu’est la loi de moralisation publique de juillet 2017 et ses suites, ayant pour propos de reconsidérer dans le second cas la gouvernance publique, et dans le premier celle de l’entreprise. Proposer un rôle élargi à l’entreprise intégrant des considérations de RSE voire une « mission », c’est interroger certains aspects de gouvernance, dont le rôle des salariés : administrateurs salariés[4] et nécessité que les actionnaires salariés disposent d’un pouvoir, mais aussi promouvoir l’institution d’un comité des parties prenantes (que Michelin tente cet an-ci). La nécessité de transcrire la directive Shareholders1 permet, elle, d’améliorer la transparence sur les conventions règlementées, le say on pay, la politique de vote des institutionnels, les conflits d’intérêts éventuels des agences de conseils en vote. Enfin, l’amélioration du dialogue avec les actionnaires, avec comme préalable une capacité à mieux identifier les détenteurs de titres réels afin éviter les erreurs de comptage de vote en AG de 2018. Pour ces raisons, nous soutenons les articles 60 et suivants de la loi PACTE. La loi doit accompagner une demande d’évolution du rôle de l’entreprise et de sa gouvernance, exprimée par les parties prenantes et la société.


[1] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX%3A32017L0828

[2] Ordonnance no 2017-1162 du 12 juillet 2017 portant diverses mesures de simplification et de clarification des obligations d’information à la charge des sociétés- CHAPITRE Ier Le rapport sur le gouvernement d’entreprise

[3] Gouvernance pérenne et montée de l’activisme actionnarial – https://www.slideshare.net/secret/7Kah78JuN1BcT

[4] ttps://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/0600291899878-comment-ouvrir-vraiment-les-conseils-dadministration-2228281.php#xtor=CS1-32