Indispensable complémentarité

Michel de Virville, Directeur Honoraire du Collège des Bernardins, analyse l’étude de l’Observatoire de la Matérialité 2019

Les entreprises doivent mesurer à quel point l’avenir pour elles sera différent d’un passé encore récent. Il leur faut maintenant réfléchir à ce qu’elles peuvent faire. Je suis convaincu que l’alliance du Public et du Privé, du service du bien commun et de l’esprit d’entreprise est aujourd’hui une des clefs pour avancer, pour vaincre les résistances et faire face aux défis si nouveaux de ce temps de changements.

Pourquoi l’alliance public/privé serait-elle d’actualité ? Nous avons voulu et organisé la mondialisation, elle nous a précédé et peut-être parfois échappé… en donnant ainsi à d’autres la possibilité de se développer. C’est une espérance pour le monde, mais elle a aussi inversé l’équilibre politique et social de nos nations occidentales, exacerbé les inégalités entre nous, bousculé même nos imaginaires nationaux. Rien ne sert de vouloir rétablir l’équilibre antérieur, prétendre reformer des frontières, interdire les migrations.

Les gouvernements ne peuvent plus gouverner en maîtres comme hier, imposant les trajectoires, ils doivent se servir de la force des entreprises pour nourrir le développement social, ils doivent canaliser les forces du marché au service du bien commun. Mais réciproquement, les entreprises sont appelées de façon de plus en plus précise à abandonner une division du travail simpliste où elles pourraient ignorer l’intérêt général et se contenter de servir intelligemment leur intérêt particulier. Comment croire que le marché puisse communiquer à la société son dynamisme irremplaçable s’il ne dédie pas une partie de ses ressources à maintenir la cohésion sociale dont il a impérativement besoin ?

Je suis enraciné dans le département de la Manche, un pays d’agriculteurs et de marins entre terre et mer : le monde d’hier me fait penser à la terre où chacun peut espérer tracer sa trajectoire ; le monde d’aujourd’hui me semble plutôt être comme la mer où chacun doit composer avec les forces des vents et des courants qu’il ne maîtrise pas, qui s’imposent à lui, pour tenter d’atteindre son but.

Mais un autre aspect de la mondialisation est que nous avons à conduire cette co-construction avec des personnes de plus en plus diverses et plus différentes de nous. Je pense avec bonheur à notre expérience de l’alliance Renault/Nissan, à sa fécondité, mais aussi à la distance entre nos cultures dont nous n’avons franchi probablement qu’une mince partie. L’esprit d’entreprise, c’est la conviction que le respect de la diversité, allié à la poursuite difficile de la cohésion, produit du neuf et de la solidarité. Pas de véritable esprit d’entreprise sans refus de l’exclusion et sans attention aux situations de fragilité. La mondialisation nous impose de respecter ces énergies diverses ; c’est vrai pour les nations, pour les religions, pour les partis.  Il faut travailler avec ceux qui ne nous ressemblent pas.