EDITO | La raison d’être des sociétés : redonner du sens à un capitalisme assiégé
La financiarisation de l’économie est devenue le coupable idéal de tous les maux de notre société. Les actionnaires représentent dorénavant dans l’inconscient collectif des instigateurs pernicieux aux intérêts court-termistes. Cette diabolisation de la finance n’est certes pas nouvelle mais une nouvelle étape vient cependant d’être franchie ce mois-ci avec le saccage des bureaux de BlackRock en plein Paris. De jeunes générations, portées par des idées écologistes et anti-capitalistes, ne croient plus aux discours et promesses des politiciens et dirigeants. Les franges les plus extrêmes veulent maintenant faire entendre leur message par la violence. Le sentiment d’avoir été sacrifié sur l’autel du profit et l’angoisse grandissante face à l’accroissement des inégalités et à un changement climatique vu comme inéluctable viennent alimenter un rejet des institutions, des entreprises et des actionnaires, finalement du capitalisme dans son ensemble.
Les dirigeants, confrontés à la montée du populisme et des extrêmes, semblent enfin mesurer l’ampleur de la colère et des craintes. Les défenseurs du statu quo deviennent minoritaires. Le Manifeste de Davos 2020 se focalise ainsi sur le changement climatique et défend un modèle de stakeholder capitalism. Les investisseurs également se font entendre. Anne Richard, la CEO de Fidelity International, a annoncé en novembre dernier que les investisseurs devaient « repenser le système économique dans son ensemble » et qu’il n’y avait plus beaucoup de voix pour défendre le ‘business as usual’ ou bien le concept même du capitalisme. Le CEO d’Allianz Global Investors, Andreas Utermann, affirme lui que la fixation sur la croissance mondiale (croissance du PIB, croissance de la population et accroissement des profits) n’est clairement pas pérenne : le capitalisme actuel consistant « à emprunter aux générations futures tout en détruisant l’environnement ». Enfin Larry Fink, le CEO du géant de l’investissement indiciel BlackRock avec ses 7 000 milliards d’actifs sous gestion, appelle dans ses dernières publications à repenser le système financier face à un risque climatique qui va conduire à un mouvement massif de réallocation du capital.
Ces jeunes générations sceptiques forment une proportion grandissante des parties prenantes et constituantes de l’entreprise. Face à elles, les sociétés se doivent d’être plus transparentes et inclusives, elles doivent démontrer qu’elles sont éthiques et responsables, qu’elles sont des acteurs engagés de la société et qu’elles ne se limitent pas à réduire leur empreinte environnementale mais qu’elles cherchent des solutions innovantes pour réduire le risque climatique. Tout cela a cependant un coût et les sociétés ne trouvent pas toujours l’appui nécessaire des investisseurs, malgré les prises de position publiques des dirigeants de ces derniers. D’autres sociétés renoncent à ces investissements par peur de ne plus être compétitives.
Dans ce nouvel environnement, les sociétés qui auront réussi l’exercice de définition de leur raison d’être, comme la loi Pacte les y invite, pourraient prendre une longueur d’avance. L’exercice est délicat et complexe car une raison d’être ne doit se résumer ni à un slogan marketing qui se révèlerait être un acte de communication vide de sens, ni à un exposé philosophique qui ne trouverait pas d’écho avec les parties prenantes de l’entreprise. La raison d’être doit servir de guide aux décisions de la société et irriguer la culture d’entreprise, ses valeurs, sa mission et finalement la stratégie à long-terme.
La raison d’être devra donc être un des thèmes majeurs des assemblées générales cette année, devant des actionnaires eux-mêmes en quête de sens, qui veulent comprendre comment la société va créer de la valeur de manière pérenne dans le respect de l’environnement et des parties prenantes. Au-delà des formules, les conseils auront à démontrer la cohérence entre cette raison d’être, le business model, les grands axes stratégiques et la rémunération des dirigeants. C’est dans ce cadre, à mon sens, que viennent s’inscrire les recommandations 2020 du Jury des Grands Prix de l’AG et de la Mixité.
Par Edouard Dubois, membre du Collège de l’ICR et Partenaire chez SquareWell Partners