ÉDITO | «Catastrophe» plutôt que «crise».
ÉDITO | «Catastrophe» plutôt que «crise».
« Catastrophe » plutôt que « crise ». Insister, comme le font nombre de scientifiques, sur le classement sémantique de l’épisode Covid est loin d’être anodin. Il y a bien sûr un enjeu financier important, notamment pour les assureurs, pour lesquels la qualification de la crise en « catastrophe sanitaire » ou « naturelle » ouvre des obligations de dédommagement des pertes d’exploitation des entreprises. Mais une telle classification nous éclaire surtout sur un élément fondamental de l’épreuve que nous traversons : celui de la nature des risques. Or, on ne peut envisager de résoudre durablement un problème sans en comprendre la nature profonde. C’est pourquoi, définir la crise actuelle au rang de « catastrophe naturelle », c’est-à-dire des « risques physiques » au sens de la classification de la TCFD, permet de fonder des options et des solutions de relance sur des hypothèses décisives et de les orienter dans le bon sens. Cela rend bien sûr inévitable l’intégration des paramètres environnementaux au cœur des plans d’élaboration d’un « monde d’après ».
Il s’agit aussi de bon sens car on connait désormais les liens étroits entre les catastrophes sanitaires et les risques physiques de nature environnementale dont le taux d’occurrence et l’intensité devraient s’accélérer au cours de la prochaine décennie. Les responsables en sont notamment la déforestation, qui met l’homme au contact d’espèces et de bactéries nouvelles, la pollution de l’air (les émissions de Sox Nox et fines particules augmentent la viscosité du sang qui aide à fixer les virus) qui tue déjà environ 50 000 personnes chaque année rien qu’en France, et les pollutions électromagnétiques qui interfèrent avec la physiologie humaine. Bien entendu, le changement climatique est également un accélérateur des pandémies tropicales, qui devraient toucher plusieurs milliards de personnes au XXI siècle, combiné à des flux migratoires sans précédent sous la pression de conditions climatiques « invivables » sur plus de 20% de la surface terrestre, comme nous le rappelle l’étude d’universitaires américains publiée ce mois-ci dans la revue scientifique « PNAS ».
Ces perspectives alarmantes, lorsqu’on les analyse au prisme de la crise économique que nous avons volontairement provoquée pour atténuer les conséquences de la catastrophe sanitaire, ne manquent pas d’évoquer les conclusions du fameux rapport de Nicholas Stern, que l’on peut résumer ainsi : à défaut de consacrer au moins 1% du PIB dans la lutte contre le dérèglement climatique, l’inaction pourrait coûter entre 5 % et 20 % du PIB mondial, un impact, souligne Stern, « comparable aux effets dévastateurs des deux guerres mondiales et de la dépression des années 1930 ». Ce qui devrait réellement nous alarmer, c’est qu’on y est déjà !
L’arbitrage proposé par Stern est d’une étonnante actualité : il s’impose aujourd’hui comme le pivot intrinsèque à tout calibrage budgétaire des plans de relance envisagés et à leur nécessaire verdissement, comme l’ont rappelé Ursula von der Leyden, Angela Merkel et Bruno Le Maire. La seule différence c’est qu’on pensait jusque-là qu’il s’agissait d’un arbitrage intergénérationnel et que l’on constate, à l’aune du Covid, que nous pourrons également en être les bénéficiaires.
Il convient aussi de prendre en compte l’autre message central de Stern : nous entrons dans le règne de l’incertitude, qui balaie toutes nos certitudes et devient la norme. Non seulement le niveau d’incertitude croît à un rythme presque exponentiel, mais il change de nature et devient moins linéaire, donc moins prédictible. Cela signifie, comme nous l’enseignent les tensions actuelles, que toutes les cartes économiques, sociales et géopolitiques sont rebattues. Ou encore que les décisions de long terme peuvent perdre en efficacité par rapport à des initiatives plus agiles, comme le démontre l’émergence de l’« urbanisme tactique ». C’est la nature même des risques physiques avec lesquels nous devons désormais composer pour définir un nouveau capitalisme responsable.
par Stéphane Voisin, Analyste Financier spécialiste finance durable & Investissement Responsable et Membre du Collège des Experts de l’ICR