Édito | De l'État administrateur à l'État facilitateur

En se montrant capable de placer toute l’économie sous perfusion, l’Etat est revenu au centre du jeu pendant le confinement. Dès lors, on serait tentés de voir en lui la réponse évidente au débat sur le partage équitable de la valeur, symbolisé par le mouvement des gilets jaunes mais qui renvoie en fait à une problématique du pouvoir d’achat à laquelle tous les gouvernements ont été confrontés depuis la promesse du « travailler plus pour gagner plus ».

En France, il y a un paradoxe à constater que le partage équitable de la valeur demeure difficile alors que les outils et les incitations sont là. Pour les outils, ils étaient déjà au fondement de la politique du général de Gaulle et sont donc aussi vieux que notre République. Chacun permet à l’entreprise d’associer son salarié selon des objectifs différents et complémentaires : la participation en partageant les profits, l’intéressement les performances, et l’actionnariat salarié le patrimoine. Tous servent à la fois le partage de la valeur mais aussi le partage des valeurs, car en ayant ainsi son revenu pour partie lié à la bonne santé de l’entreprise, le salarié gagne un surcroît de motivation et de sens dans son travail.

Les entreprises ont donc tout intérêt à amplifier ces dispositifs, particulièrement les PME qui ont plus de mal à être attractives que les grands Groupes. Pourquoi dès lors restent-t-il relativement faibles là où ils ne sont pas obligatoires ? Et ce alors même que les incitations ont été renforcées, encore récemment avec la loi PACTE qui a supprimé le forfait social sur la participation et l’intéressement pour toutes les PME.

Si le problème ne vient pas des outils, de la volonté ou des incitations, il faut admettre qu’il est dans la complexité des dispositifs. Aujourd’hui, mettre en place un accord de participation ou de l’actionnariat salarié dans une entreprise relève du parcours du combattant. Le ministère de l’Economie a beau avoir mis en place des accords-types de participation et d’intéressement à destination des petites entreprises, les dispositifs d’épargne salariale restent sous-utilisés.

Le problème du partage équitable de la valeur devient dès lors un défaut d’interface entre le souhait de l’entreprise de mieux associer ses salariés et celui du gouvernement d’augmenter le niveau de vie. L’enjeu n’est pas mince pour l’Etat, dont le rôle a toujours été de réglementer et de contrôler en posant des garde-fous : il lui faut maintenant – sans se départir de ses missions essentielles de régulation – fluidifier et encourager en levant des contraintes.

Au cœur de cette révolution, l’Etat a les moyens et le devoir de simplifier, moderniser, voire automatiser le partage de la valeur. Très concrètement, l’administration pourrait par exemple prendre en charge le calcul de la participation et le répartir entre les salariés, puisque ce calcul se fait à partir de données dont elle dispose déjà mais sur la base d’une formule très complexe pour les petites entreprises ; il serait aussi du rôle de l’Etat de proposer un régime ultra-simplifié d’actionnariat salarié, parce que les entreprises qui souhaitent associer leurs collaborateurs à leur destin sont aujourd’hui contraintes de mobiliser des ressources techniques externes.

Le « monde d’après » ne peut pas être construit avec les solutions d’hier. Dans un pays où la puissance publique redistribue déjà beaucoup, ce serait une erreur de penser que cette réponse tiendrait en un énième mécanisme de taxe : s’il est exact de dire que la solution doit venir de l’Etat, c’est parce que le problème vient également de lui. Non pas parce qu’il n’en aurait pas fait assez, mais au contraire parce qu’il en a fait trop.

par Olivia Grégoire, Députée et Vice-présidente de la Commission des Finances