Edito | Caroline de La Marnierre
15 ans déjà ! 15 ans d’échanges riches… 15 ans d’Assemblées Générales, toutes intéressantes, parfois intenses… et 15 ans de réunions du Jury, d’analyse des tendances, de délibérations passionnantes !
Nous avions prévu de célébrer cet anniversaire à la Banque de France le mardi 7 juillet, date de la publication de ce Magazine, en présence de très nombreuses personnalités et de soutiens de la première heure, avec un format renouvelé, autour de thématiques stratégiques de long terme. Il a fallu changer nos plans et nous nous sommes rappelés cette phrase dans La petite marchande de prose de Daniel Pennac : « il y a pire que l’imprévu, ce sont les certitudes ! ». L’imprévu étant survenu, nous avons donc balayé nos certitudes pour mieux nous réinventer.
Avec l’ensemble des membres du Jury et l’équipe de l’Institut, nous avons décidé de réunir tous les ingrédients qui ont fait la réussite de ces 15 années de Grands Prix – des personnalités engagées, des points de vue diversifiés, de vrais sujets d’actualité et une analyse des tendances de fond – pour les restituer sous la forme d’un magazine.
Mais avant d’introduire ce millésime 2020 « hors norme », permettez-moi de revenir au début de l’histoire… Il y a 15 ans, les Assemblées Générales (AG) étaient pour l’essentiel un évènement règlementaire, très formel et articulé autour de la restitution du passé. Regardez ce qu’elles sont devenues ! L’AG est de plus en plus tournée vers l’avenir, rythmée par des temps d’échanges et de partages entre les dirigeant.e.s, les adminisratrices.teurs et leurs actionnaires, qu’ils soient individuels et/ou salariés.
Dès le départ, nous sentions que ce moment ne pouvait pas se limiter à l’obligatoire et au réglementaire. Voilà pourquoi nous avons créé les Grands Prix de l’Assemblée Générale. Nous voulions innover en récompensant les pratiques les plus remarquables en matière de démocratie actionnariale et de gouvernance. Devenus cette année les Grands Prix de l’Assemblée Générale et de la Mixité, ils sont arbitrés par un Jury d’experts qualifiés et interdisciplinaires, adossés à une méthodologie robuste et matérialisés par des recommandations claires. Je tiens d’ailleurs à remercier tout particulièrement Nicole Notat, co-Présidente depuis de nombreuses années, pour sa fidélité, son enthousiasme et ses observations toujours pertinentes. Et Philippe Marini, son prédécesseur, pour la qualité de son implication, lui aussi.
Ce Magazine est également l’occasion de regarder dans le rétroviseur le chemin parcouru depuis 2005. Quelle évolution ! A l’époque, en AG, les sujets liés à la bourse et à l’évolution des structures capitalistiques des entreprises représentaient environ un quart des interventions et des questions posées par les actionnaires. Cette année, c’est seulement 5%. Le thème de la RSE a été abordé dans les AG pour la première fois en 2008. Celui de la Mixité, en 2010, en lien avec la loi Copé-Zimmermann. On parlait alors beaucoup du basculement de la croissance vers les pays émergents. Aujourd’hui, la raison d’être est au cœur de la plupart des débats en AG. La présentation des politiques de rémunération, enfin, a considérablement gagné en clarté et en lisibilité.
Retour à l’essentiel, oui, mais lequel ?
Ce cru 2020 est inédit : 100% digital, 100% centré sur les crises sanitaire, économique et sociale d’aujourd’hui et de demain, 100% des votes connus à l’avance. Les entreprises ont eu un mois, pas davantage, pour bouleverser l’organisation de leurs AG qui se préparent généralement pendant un an. Un mois pour réunir – en plein confinement – les membres de leurs Conseils d’administration afin de réexaminer les résolutions déjà validées portant sur des sujets aussi sensibles que la distribution des dividendes ou la rémunération des dirigeants. Un mois pour mobiliser leurs équipes autour d’un nouveau format parfaitement inconnu.
Digital oblige, la durée des AG a été ramenée à 1h30, au lieu de 2h30 en moyenne. Conséquence : il a fallu se recentrer sur l’essentiel. Mais quel essentiel ?
Les contributions à la gestion immédiate de la crise – production de gel hydroalcoolique et de masques, mise à disposition de logements gratuits pour les personnes en difficulté, développement de programmes culturels, mais aussi baisse de la distribution des dividendes et des rémunération des dirigeants – et au-delà, l’utilité sociale de leurs activités – alimentation, financement de l’économie, santé, etc. – ont constitué une partie importante des présentations.
La RSE et les démarches de performance intégrée ont également occupé une place de choix dans les interventions des dirigeants – 15% du temps passé, contre 10% en 2019 – en s’inscrivant au sein d’un discours plus global sur la résilience de la société et la pérennité de son business model. A la quasi-unanimité, les dirigeants ont acté une imprévisibilité systémique et la nécessité de revisiter les objectifs financiers sans pouvoir toutefois en définir de nouveaux à court terme. Alors, quel cap viser ? Comment concilier les rôles de « pompier » et de « visionnaire » que l’on attend de chacun d’eux ? La raison d’être serait-elle la nouvelle boussole ?
Bien qu’une majorité d’entreprises aient voulu préserver les fondements de la démocratie actionnariale, de nombreux actionnaires nous ont fait part de leur frustration et de leur incompréhension quant à la réduction des dividendes, alors qu’ils s’annonçaient plutôt généreux en raison de la qualité de l’activité de 2019. On peut les comprendre ! Difficile de partager son émotion en visioconférence.
Des AG prémonitoires ?
Cette crise inédite fera-t-elle accélérer la mutation de notre modèle de capitalisme ? Quel sera l’objectif ? La performance financière de très court terme ? La vision holistique de long terme ? Ou bien une stratégie hybride combinant les deux échéances et intégrant l’ensemble des dimensions économique, sociale, sociétale et environnementale ? Les AG nous ont fixé un cap, celui de la raison d’être. Annoncent-elles vraiment l’avenir du capitalisme ?
Par Caroline de La Marnierre, Présidente et Fondatrice de l’Institut du Capitalisme Responsable