Le Say on Pay est le miroir de la gouvernance
Dans un monde parfait, nous n’aurions pas besoin de vote sur les rémunérations, les Conseils et leurs comités de rémunérations établiraient des politiques de rémunération en adéquation avec la stratégie de l’entreprise et les mettraient en œuvre pour refléter la performance réalisée de façon holistique. Et en cas d’échec, des actionnaires éclairés sanctionneraient les administrateurs fautifs.
Mais la réalité est quelque peu différente, et les actionnaires ont laissé faire, voire ont contribué à des pratiques déconnectées de tout référentiel raisonné et validées par des Conseils peu regardant. Devant de multiples scandales, le pouvoir politique, insuffisamment courageux pour définir le problème ou s’en occuper, a sommé les actionnaires de se charger du problème. Le Say on Pay venait de naître.
Sociétés et investisseurs se sont ainsi retrouvés sous la menace de la vindicte populaire et politique en cas de dérapages trop visibles. Les uns ont tenté de donner un vernis de cohérence aux chiffres difficilement compréhensibles tandis que les autres ont tenté de définir ce qu’était une rémunération inacceptable.
Ce nouveau cadre plutôt mou s’est révélé être le déclencheur d’une bien plus grande transformation. Sociétés et investisseurs ont dû commencer à se parler sur des sujets dépassant les résultats financiers trimestriels ou annuels afin d’éviter de nouveaux scandales. Le dialogue au moment des Assemblées Générales s’est trouvé renforcé et a impacté tous les autres sujets de gouvernance présents en AG, engendrant une dynamique positive de construction d’une nouvelle relation.
Ce dialogue s’est progressivement développé car les sociétés ont pu voir l’intérêt de contestations moindres en AG alors que les investisseurs ont pu « vendre » à leurs clients institutionnels cette nouvelle expertise. Les administrateurs se sont progressivement impliqués dans ces discussions comprenant que, s’ils ne le faisaient pas, ils deviendraient des cibles potentielles et que cela était un des seuls éléments qualitatifs que les investisseurs avaient pour juger du fonctionnement du Conseil.
Avec le développement des critères extra-financiers ou de la discrétion utilisée en cas d’incident environnemental ou social, le dialogue s’est élargi à l’ensemble des problématiques ESG.
Enfin, cette année, la combinaison malheureuse de la crise du COVID-19 et la mise en œuvre des pay ratios a permis de renforcer le débat sur l’alignement des rémunérations des dirigeants avec celles des salariés. Néanmoins, il reste encore du chemin à parcourir car de nombreuses sociétés n’ont pas joué le jeu et ont produit des pay ratios peu pertinents en choisissant, par facilité ou par peur de la reprise médiatique d’un ratio trop élevé, des périmètres de salariés trop restreints.
Au regard des taux d’opposition encore élevés cette année et du manque de réactivité d’une partie encore trop importante des Conseils face à la contestation des actionnaires, le dialogue a encore une marge de progression. Une touche de Name and Shame au travers d’une meilleure couverture médiatique de ces oppositions actionnariales, ou alors un registre public des contestations à l’instar du Royaume-Uni pourraient accélérer le mouvement.
Le Say on Pay est devenu un miroir, un peu déformant, de la gouvernance des entreprises qui tente de refléter tant au niveau des points d’attention des investisseurs que des avancées réglementaires, une partie des attentes de la société. Même si nous restons loin de l’exemplarité et que de nouveaux scandales apparaîtront, la construction d’un dialogue continu sur la gouvernance et d’une chaîne de contrôle dirigeants-administrateurs-asset managers-asset owners-bénéficiaires-société laisse envisager une plus grande responsabilisation des pratiques.
par Cédric Lavérie, Directeur de la Recherche France de l’Institutional Shareholder Services (ISS)