Partage de la valeur et actionnariat salarié : la France, un modèle à suivre ?

En cette période propice à des remises en cause profondes, on parle paradoxalement très peu de l’actionnariat salarié qui serait pourtant une évolution majeure du capitalisme, en permettant aux employés de participer non seulement à la création de valeur mais aussi à la gouvernance de l’entreprise.

Disons les choses : beaucoup de gens ne sont pas ouverts à cette idée pour des raisons de principe. D’abord certains politiques (il ne faut pas leur jeter la pierre parce qu’ils ont vu des cas douloureux) craignent un système dans lequel les employés perdent à la fois leur emploi et leurs économies. Il est aussi avéré que beaucoup de familles considèrent que c’est à elles de porter le risque entrepreneurial et craignent que les employés travaillent moins bien s’ils en sont eux-mêmes chargés. Il est vrai qu’il y a prise de risque, la mise en place de ce système ne peut donc se faire que sur la base d’une décision de l’employeur et du collaborateur.

Les choses sont en train de changer car nous disposons désormais de 50 ans d’expérience d’actionnariat salarié dans des grands Groupes comme Bouygues ou Essilor, pour ne nommer qu’eux. Il y en a bien d’autres. Ils ont démontré sur une longue période que ce système capitalistique fonctionnait efficacement et contribuait à créer un bon climat dans l’entreprise. Le système s’étend naturellement. Pour preuve, Luxottica qui a fusionné avec Essilor vient d’annoncer que le nouveau Groupe l’adopterait.

En fait, pousser la dynamique de l’actionnariat salarié n’est pas difficile, il suffit de favoriser les longues détentions (afin d’augmenter le stock d’actions du personnel) et pour cela la décision à prendre est de baisser significativement la fiscalité appliquée aux plus-values pour des titres conservés plus de 20 ans. Avoir un faible taux d’imposition quand les actions vendues ont été gardées très longtemps serait, par ailleurs, un signe extraordinairement positif envers la communauté mondiale des affaires, venant d’un pays qui a besoin de corriger son image d’enfer fiscal !

Le cas des PME/ETI est plus délicat et nous sommes très en retard en France. Pour donner des ordres de grandeur, l’avoir des actionnaires salariés des Groupes cotés est de 75 milliards d’euros (à peu près 3% du capital). On est à 1,5 milliard dans les PME / ETI alors que les effectifs sont à peu près les mêmes. D’autres pays ont, pour ce type d’entreprise, inventé des systèmes qui permettent une montée en puissance respectant les stratégies familiales tout en réduisant le risque porté par l’employé, ce qui lève les objections des politiques.

En simplifiant, les salariés commencent par investir dans un fonds diversifié d’actions d’entreprises cotées. Lorsque les familles décident d’augmenter le capital pour faire une acquisition ou au contraire de vendre une partie des actions, on puise alors dans ce fonds (qui est liquide) pour acheter des actions. Il y a en général une contrainte : la part détenue dans les actions de son entreprise ne peut jamais dépasser 50%. Voilà donc une piste très fructueuse dont nous pourrions nous inspirer. C’est l’occasion de faire mieux en donnant un petit coup de pouce pour dynamiser l’ensemble : l’Etat baisserait significativement les impôts sur les plus-values lorsqu’une famille vend à ses employés.

L’actionnariat salarié change complètement le rapport entre le salarié et l’entreprise. Ceux qui l’ont expérimenté sur longue durée le savent bien : le salarié « se sent chez lui ». Le dirigeant de l’entreprise se sent redevable des économies de ses employés et tout cela donne une dimension de compagnonnage au management avec des retombées bénéfiques sur l’ambiance de travail.

Sur un plan plus théorique, on résout la lancinante question de savoir si la valeur va au capital ou au travail (le collaborateur étant des deux côtés). Il est une solution bien plus puissante pour partager la richesse que l’ISF, parce que l’ISF démotive et pousse à l’exil (on l’a vu de façon patente durant les 15 dernières années) alors que l’actionnariat salarié, lui, motive tout le monde. On peut noter à ce propos que de nombreuses études montrent que les entreprises à fort actionnariat salarié sont plus performantes que la moyenne.

Dernier point fondamental ! L’actionnariat salarié apporte sur la durée (car il est affaire de long terme) un complément considérable à la retraite. On peut faire le calcul sur un tableur, 5% du salaire (abondé à 50% par l’entreprise) et investi régulièrement augmente la retraite d’au moins 50% pour une durée de travail de 45 ans. C’est donc une pièce maîtresse dans la résolution de ce problème national. La période est propice pour entrer dans le système puisque les actions sont basses à la suite de la crise du COVID-19.

Ayons enfin une pensée pour notre fonction publique : pourquoi ne pas l’associer à cette dynamique et lui permettre d’investir (en franchise d’impôt) dans un fonds diversifié qui soit une image du CAC 40 ?

Une façon d’embarquer tout le monde et de dynamiser nos entreprises, qui sont en dernier ressort les meilleurs garants de notre prospérité à
tous !

par Xavier Fontanet, Ancien Président d’Essilor