Ça casse ou ça passe !
On dit que les guerres révèlent le meilleur ou le pire chez les soldats, en fonction de leur entraînement, de leurs convictions et de leurs chefs. Confrontés à des situations inattendues, à des pressions extraordinaires, à la multiplication des victimes, aux pénuries, certains trouvent en eux les ressources nécessaires pour garder un cap éthique, d’autres font « à la guerre comme à la guerre » et choisissent de contourner leurs principes pour atteindre des objectifs.
Toute proportion gardée, les dirigeants plongés dans la crise du Covid affrontent un dilemme comparable. Des centaines de milliers d’entreprises, grandes, petites ou minuscules, avec des millions d’emplois à la clé, se retrouvent sur le fil du rasoir. Pour résister au premier choc, puis aux chocs qui vont se succéder dans les mois qui viennent au fur et à mesure qu’apparaitront les véritables conséquences économiques du confinement, elles prendront des décisions dont dépendent non seulement leur survie immédiate mais leur avenir.
C’est le moment de bien distinguer la dureté de la robustesse. Quand les carnets de commandes se vident, face à l’urgence, il est tentant de licencier des salariés, de laisser les fournisseurs à découvert, de différer les investissements. La purge aura l’apparence d’une solution mais elle risque de mutiler les forces vives de l’entreprise, parfois de manière irréversible.
La robustesse, à l’inverse, est un mélange de détermination et de flexibilité qui reflète une vision. Elle n’exclut pas les mesures fortes et les réductions de coûts mais dans le respect d’un noyau incompressible, sanctuarisé, pour garantir la viabilité de long terme de l’entreprise en protégeant les ressources nécessaires aux investissements stratégiques. En 2020, la responsabilité consiste à réagir aux crises rapidement, agilement, mais sans transiger avec un certain nombre de priorités claires et permanentes.
Bref, ça passe ou ça casse.
Encore faut il à l’entreprise une gouvernance et des réglementations alignées sur cette ambition. Encore faut il des gestionnaires de fonds qui s’appliquent à eux mêmes les conseils qu’ils donnent. Avec, pour les dirigeants et les fonds, des systèmes de rémunération à l’image d’une création de valeur pérenne et alignée sur les besoins de la planète.
Être un capitaliste responsable ne consiste pas à donner des leçons aux managers qui gèrent au quotidien leur entreprise sous énorme contrainte et sans visibilité. Il s’agit d’organiser à l’avance le collectif (actionnaires, investisseurs, parties prenantes et managers) qui pourra, le jour venu, prendre des décisions robustes au lieu de se précipiter dans la purge. La responsabilité est avant tout affaire de préparation.
Le capitalisme responsable n’est pas non plus un concours de vertu. C’est l’instrument dont l’Europe a besoin pour moderniser son économie sociale de marché. C’est une bataille d’intelligence pour élaborer un modèle alternatif et les indicateurs dynamiques qui permettront d’intégrer la responsabilité dans la performance. Ce n’est pas un combat technique mais une bataille politique, au sens le plus élevé du mot.
Cette crise est terrible et il y aura de la casse. Mais pour les entreprises qui passeront, une nouvelle ère s’ouvrira, celle de la preuve. La responsabilité n’est pas une option de beau temps, c’est la garantie de traverser le mauvais temps.
par Stéphane Marchand, Délégué général de l’Institut du Capitalisme Responsable