Interview | Anne-Catherine Husson-Traoré, Directrice générale de Novethic

43% des Français déclarent avoir pris conscience de l’engagement des entreprises en matière de santé et d’ESG durant la crise du Covid-19. Percevez-vous effectivement une accélération de l’engagement durable des entreprises depuis la crise ?

La crise a bouleversé beaucoup de choses, y compris des idées reçues. Les entreprises sont apparues comme un point d’ancrage, un lieu où on applique des règles sanitaires que les personnes acceptent d’autant mieux qu’elles s’appliquent à leur univers habituel. Préserver la santé des salariés est devenue une priorité qui a conduit beaucoup d’entreprises à changer très rapidement leurs modes opératoires. Elles ont mis à disposition gratuitement certains produits ou services, ont reconverti leurs chaines, accepté le télétravail. Les plus engagées ont fait le lien avec leurs politiques RSE ou les Objectifs de Développement Durable qui mettent la santé parmi les trois premières priorités. La pandémie donne une dimension très concrète à l’engagement des entreprises et à la nécessité d’adapter son modèle économique pour qu’il soit résilient aux crises majeures que nous affrontons, les unes après les autres. Ce qui apparaissait jusque-là comme une stratégie réservée à quelques leaders s’avère de plus en plus indispensable à la survie de secteurs entiers. Les plus fragilisés par la crise, le secteur automobile, le secteur aérien, sont aussi ceux qui doivent faire une transition rapide vers une économie bas carbone. L’accélération de la transformation de l’économie est possible puisqu’elle est d’ores et déjà modifiée en profondeur. Qu’elle soit un gage d’avenir durable sur le plan environnemental et social semble de mieux en mieux compris par un plus grand nombre de Français. L’idée portée par la France et l’Europe que la relance doit être verte, a permis aussi de faire bouger les lignes mais, pour transformer l’essai, il faut que les entreprises soient massivement convaincues de la nécessité de ce changement de paradigme. Ce n’est pas encore gagné.

Pensez-vous que la santé constitue désormais le 4e pilier de l’engagement ESG des entreprises ? (engagement environnemental, sociétal, de gouvernance et de santé)

Ce n’est pas un pilier en soi mais une de ces priorités transversales qui concerne aussi bien le E que le S que le G. La préservation de l’environnement et de la biodiversité est indispensable pour prévenir d’autres épidémies de zoonoses, comme le COVID-19 et les entreprises ont un rôle capital à jouer dans ce domaine. S’engager sur ce terrain contribue donc aussi à préserver la santé, c’est une des dimensions pédagogiques de la crise.
Mais la santé est bien sûr d’abord liée au facteur S pour Social. On voit bien qu’il y a une grande disparité dans l’exposition à la maladie, dans l’accès aux soins. La notion de première et deuxième ligne a permis de faire comprendre l’utilité sociale déterminante de certaines professions plutôt mal payées et considérées jusque-là… Les personnels précaires, tous ceux qui relèvent de la GIG Economy, eux sont les premières victimes non seulement parce qu’ils sont plus touchés par la maladie mais aussi parce que leurs conditions de vie sont de plus en plus précaires. L’idée qu’il faut lutter contre des inégalités sociales trop criantes progresse.
Enfin la santé est aussi un enjeu de gouvernance puisque l’obligation faite aux entreprises de protéger leurs salariés contre une maladie inconnue, de bouleverser leurs règlements intérieurs, l’agencement des bureaux et plus globalement le management suppose de faire attention aux limites à respecter quand la frontière entre vie personnelle et professionnelle a tendance à disparaître. L’éthique des dirigeant(e)s et des managers est clef pour éviter les dérapages. 

Malgré d’importantes différences, notamment culturelles, l’enjeu environnemental et climatique est la priorité N°1 des citoyens aussi bien en France, qu’en Inde et même aux États-Unis, pour les 10 années à venir. Cela vous surprend-il ?

La pandémie de COVID-19 nous montre qu’aujourd’hui nous partageons les mêmes maux sous des formes différentes. Le changement climatique ne connait pas de frontières, tout comme le virus. Il concerne toutes les régions du monde et frappe sous des formes variées : cyclones, inondations, sécheresses. Tout cela est devenu tragiquement concret et cela ne me surprend pas que des populations très différentes aient compris en même temps que préserver l’environnement et le climat doit devenir rapidement LA priorité puisqu’ils ressentent tous les effets très négatifs d’un modèle de développement à bout de souffle.    

Que pensez-vous de l’engagement – depuis la crise – de plus d’1 Français sur 2 en faveur d’une consommation durable ?

C’est une conséquence logique de la période de confinement et de la mise en avant du concept de biens essentiels. C’est un dynamiteur de la consommation de masse et des achats compulsifs. On a vu les Français épargner massivement plutôt que de faire des commandes en ligne de choses dont ils n’ont pas vraiment besoin. Les Français font aujourd’hui le lien entre consommation et croissance et emploi mais ils ne veulent pas un retour à la consommation précédente. Ils veulent acheter des produits qui ont du sens, qui servent l’économie de leur pays et de leur territoire, qui respectent l’environnement comme les produits bios. Cela rend optimiste sur notre capacité à reconstruire, en mieux !