EDITO | Espoir 2021...
En ce début d’année que nous voulons meilleure, que pouvons-nous souhaiter pour le capitalisme responsable, enjeu d’évolution qui nous rassemble ? Quels sont les enjeux ?
Les derniers mois ont mis en exergue une préoccupation qui avait déjà percé ici ou là auparavant, avec quelques prémices plus anciennes : il faut remettre l’homme au centre de l’intérêt commun ; le progrès consiste à servir les hommes, non à se servir d’eux.
Quand on accepte de promouvoir le mode d’organisation de la création de richesses dit capitalisme, c’est parce qu’il s’est avéré que ce système, fondé sur la libre entreprise, était le mieux à même d’apporter de façon assez continue, le progrès. Encore faut-il se mettre d’accord sur ces notions de liberté et de progrès. La conception de la liberté – telle qu’on l’observe en Europe Continentale- ne peut se limiter à une absence de contraintes (acception négative), univers où prédomineraient les droits individuels. Le fonctionnement d’une Société suppose en réalité de voir respectées des limites pour protéger les opinions, la liberté de réunion, la sécurité ou le droit de propriété, mais aussi, afin d’assurer à tous les citoyens les conditions matérielles qui permettent à chacun d’exercer ces libertés. D’où la nécessité d’inclure – c’est une des priorités de l’UE – des considérations sociales et écologiques, avec des droits dont la mise en œuvre est seule capable de donner un contenu effectif aux droits individuels.
Appliqués à la gouvernance des entreprises, ces concepts impliquent une vision réciproque et globale de la performance et des informations requises pour en rendre compte (double matérialité). Le défi est de déchiffrer les signes, pour pouvoir s’orienter ensemble.
Performance signifie mieux faire. C’est pourquoi il est demandé aujourd’hui par l’État Français et l’UE d’intégrer des thèmes et indicateurs dits extra-financiers quand est évoquée la performance d’une entreprise, dans son obligation de création de valeur, sur une base holistique. Cela rejoint d’ailleurs la portée du mot grec oikos (origine étymologique de noter « économie ») qui décrivait ainsi l’activité de tissage de liens à autrui et au monde. « Nous comprenons que tout est connecté » affirmait déjà en 1980 la DÉCLARATION D’UNITÉ (1) de la Women’s Pentagon Action, certes avec un socle premier de « droits de la femme » mais dont l’approche était plus large, hautement prémonitoire des fractures actuelles : des individus qui se sentent abîmés comme ils sentent le monde abimé.
Je cite à dessein cette déclaration au cœur des États Unis d’Amérique, pays dont la philosophie dominante de l’action nous semble parfois si différente de la nôtre. Les attentes sur les sujets de Société et de l’équilibre des droits et bénéfices sont en effet universelles ; seules différent vraiment les réponses politiques à ces préoccupations.
C’est sur ce terrain d’une vision en réponse à la crise écologique et à la crise sociale, liées, que l’UE doit concentrer son énergie et parler à ses forces vives et notamment à sa jeunesse. Il ne suffit pas de recourir à des solutions, des mesures techniques. Il faut que partout dans le monde on puisse se reconnaître et se rassembler dans un guide équilibré, loin des approches aux obsessions conjoncturelles (telles dans les pays anglo-saxons l’excès de focalisation exclusive sur la question du changement climatique). Un guide qui se fonde sur la reconnaissance de la place première de l’être humain (2) et qui prévoit la possibilité de quelques ruptures brutales tout en dénonçant les contrexemples, frein au progrès global : il faut mettre en priorité le lien avec le monde, qui se défait, en passant d’une logique d’être contre à un comportement d’être avec, qui ouvre la voie à une pensée intégrale, qui élabore et développe les transversalités (et permette de les mesurer).
Les réflexions des politiques ne peuvent se limiter à définir des indicateurs ; elles se doivent d’être multiformes et reliées. Une telle pensée politique INTEGRE les aspects scientifiques, comme économiques et sociaux, mais aussi philosophiques.
Pour y parvenir, la coopération et l’entraide internationales sont requises : que l’UE, s’inspirant du grand élan de la Renaissance, dans le souci de faire progresser la force et l’attrait d’un modèle harmonieux de pilotage de l’économie, ne se referme pas sur elle-même, avec des préjugés et de ostracismes, n’oublie pas d’associer toutes les réflexions et initiatives dont les buts sont les mêmes : rendre le capitalisme responsable.
A cela ajoutons les interrogations identifiées, particulièrement en France, sur les inégalités de rémunérations. Il y a sur ce thème des prises de position de nature philosophique, sociologique ou idéologique, des décisions politiques (inspirées d’ailleurs de ce qui avait été initié aux USA en 2008) mais il y a surtout des signes encourageants venant des acteurs de l’économie ; citons à cet égard l’exemplarité d’un fonds lancé début 2020 par un grand gestionnaire d’actifs français ,pour flécher les investissements vers des entreprises qui ont mis en pratique une réduction des inégalités précitées ainsi que l’existence d’une composante d’intéressement.
Puisse ce type d’action se multiplier en 2021.
Puisse la France se positionner à la pointe de ces avancées.
par Philippe Peuch-Lestrade, Membre du Collège des Experts de l’Institut du Capitalisme Responsable et Senior Executive de l’IIRC (International Integrated Reporting Council)
(1) UNITY STATEMENT 1980
(2) un bon credo a été rédigé par Simone Weil en 1943, à la demande du général De Gaulle qui voulait un socle pour la reconstruction de la France et son relèvement : PRÉLUDE A UNE DÉCLARATION DES DEVOIRS ENVERS L’ÊTRE HUMAIN, publié par Albert Camus qui y voyait » à la fois l’exact rapport demandé et l’un des livres les plus lucides, les plus élevés, les plus beaux qu’on ait écrit depuis fort longtemps sur notre civilisation »