Comment construire la résilience de l’entreprise ?

Interview de Gilles Schnepp
Président du Conseil d’administration de Danone
Membre du Conseil d’administration de l’ICR

ICR : Pour vous, chef d’entreprise, qu’est ce qu’une entreprise résiliente ?

Gilles Schnepp : Une entreprise résiliente est une entreprise dont les fondations sont solides. Et j’entends par fondations solides la robustesse de son bilan et la force de sa culture. Et pour Danone, il s’agit même d’une mission : celle d’apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre.

Mais une entreprise forte ne l’est pas sans l’engagement permanent des femmes et des hommes qui la font « tourner » au quotidien, au service justement d’une mission. Pour Danone, cela s’est mesuré très concrètement pendant le COVID, et notamment lors des premières périodes de confinement : les usines n’ont jamais cessé de tourner, grâce à eux. Plus largement, cela a même concerné le réseau de distribution et la chaine logistique : tous les clients ont pu être servis, livrés, sans interruption et avec la même qualité de produits. On l’a peut-être oublié mais les héros, ce sont aussi ces femmes et ces hommes qui ont contribué à maintenir nos sociétés en ordre de marche.

Le troisième pilier, tout aussi fondamental, c’est la qualité de l’offre : quel est le meilleur produit à proposer à nos consommateurs ? Comment adaptons-nous, sans arrêt, notre positionnement pour répondre le plus précisément possible à leurs nouvelles attentes ? Comment créé-t-on des marques fortes ? Sur quels segments ? Ces questions ont été salutaires au moment de lancer des produits phares, devenus au fil du temps des marques repères, garanties de qualité et de sécurité alimentaires, notamment durant la crise. Toutes ces catégories permettent à notre entreprise de rester une référence, dans le temps et dans toutes les géographies.

Enfin, l’agilité est clé : il convient de perpétuellement stimuler la créativité, l’innovation, l’ambition, la réflexion autour de nos catégories, de nos méthodes et de notre vision. C’est la condition pour ne jamais prendre pour acquis un succès et rester « à l’affût ».

ICR : Qu’avons nous appris de cette pandémie ?

Cette crise a, en réalité, été un accélérateur des transformations – souvent déjà engagées – au sein des organisations.

Et je vais aller plus loin : ne pas tirer de leçon de cette crise serait encore plus dramatique que la crise elle-même. Nous avons un devoir impérieux d’analyse, pour comprendre ce qui a mal ou bien fonctionné et faire ainsi émerger de nouveaux modèles de rapport au travail, d’interaction avec nos consommateurs, d’utilisation de nos ressources naturelles et de compréhension de notre impact dans son ensemble.

Un exemple m’a marqué : la détresse psychologique qu’une partie de notre jeunesse a ressentie durant les vagues successives de confinement, en France ou ailleurs. Comment bien prendre en considération ce phénomène ? Une partie de la réponse est à creuser dans tous les ressorts que l’entreprise peut mettre en place pour préserver le lien social au sein de son organisation, et en investissant davantage dans les apprentis par exemple. Ce n’est qu’une piste parmi d’autres, mais ne pas l’explorer plus serait un manquement à nos responsabilités.

En définitive, la crise nous a appris à être encore plus proches de nos collaborateurs, plus attentifs aux signaux faibles organisationnels et environnementaux, plus proches de nos consommateurs, de leurs attentes et de leurs craintes.

Et enfin, doit-on le rappeler : l’innovation. Cette crise nous a rappelé l’impérieuse nécessité d’innover dans tous les domaines, pour « trouver des solutions ».
Qu’il s’agisse de l’élaboration d’un vaccin en un temps record, d’un mode d’organisation pour 100 000 collaborateurs d’une entreprise mondiale, d’un canal de communication entre collègues, amis, parents, c’est tout un fonctionnement nouveau qui a émergé avec un seulleitmotiv : innover.

ICR : Comment réinventer la RSE pour en faire un outil au service de la résilience des entreprises ?

La RSE n’est ni une utopie, ni une contrainte, c’est une réalité durable et définitivement ancrée dans la conduite de nos affaires, et un levier d’engagement puissant. Peut-être d’ailleurs depuis plus longtemps chez Danone qu’ailleurs.

D’ailleurs, le statut d’entreprise à mission, chez Danone, est venu consacrer le fait que l’entreprise n’appartient plus seulement à ses actionnaires mais à l’ensemble de son écosystème. Ses objectifs sociaux, sociétaux et environnementaux devront dorénavant être conformes à sa raison d’être et définis dans ses statuts.

C’est extrêmement ambitieux, mais terriblement moderne ; cela prendra du temps mais fera émerger un modèle soutenu depuis plus de 50 ans chez Danone, celui d’une entreprise qui assume pleinement sa part de responsabilité au bien-être de ses clients, de ses collaborateurs, directs ou indirects, de la société dans laquelle elle existe et de la nature dont elle se nourrit.

La question de la mesure est centrale. Chez Danone, le Comité de Mission a passé une grande partie de ces derniers mois à définir le meilleur moyen de mesurer les performances et a souhaité mettre en place des indicateurs à la fois stratégiques, ambitieux, compréhensibles et robustes. Ces indicateurs donnent les moyens de suivre avec précision les avancées réalisées dans toutes les dimensions qui constituent la Mission de Danone : améliorer la santé, préserver la planète et promouvoir l’inclusion sociale.

ICR : Quelle est votre utopie réalisable en matière de résilience des entreprises ?

J’aimerais que la RSE ne soit pas, ou ne donne pas l’air d’être, punitive et qu’on fasse l’effort de « convaincre » plus que d’imposer. En disant cela, je ne veux pas nier l’urgence climatique, mais l’adhésion est beaucoup plus forte – et l’entreprise beaucoup plus résiliente – lorsque l’on considère la RSE comme un levier d’amélioration et de progrès extrêmement puissant.