Etats-Unis / Europe : la grande convergence ESG est sur les rails

Partons d’un objectif très largement admis de la gouvernance d’entreprise : le suivi et la surveillance des interactions avec l’ensemble des parties prenantes et de celles entre les parties prenantes elles-mêmes, au service de la CREATION de valeur et de son PARTAGE. Commentons plus spécifiquement trois qualités utiles pour y parvenir : l’écoute, le dialogue et le discernement.
Y’aurait-il sur ces sujets des approches et points de vue communs ou au contraire différents (voire divergents) entre les deux grands blocs d’acteurs économiques du monde capitaliste libéral / occidental, pour simplifier l’Union européenne et les Etats-Unis ?

Observons bien : désormais, des deux côtés de l’Atlantique, on affirme fortement la recherche d’un monde meilleur par une activité soucieuse des impacts positifs sur maints chapitres, sous le contrôle d’une meilleure gouvernance, souhaitée plus responsable, c’est-à-dire transparente quant à ses actions et ses ambitions. D’où l’émergence d’une information plus exhaustive, évitant tout jargon, pour convaincre, à travers différents agrégats, de la valeur créée par l’entreprise.
En regardant de près les conceptions dominantes dans ces deux géographies, elles sont différentes quant à la gestion des groupes de pression existant dans ces zones. Pour les dirigeants politiques et économiques de l’UE, la gouvernance doit être attentive aux multiples sources et ressources alimentant le modèle d’affaires, à la fois pour rendre compte à qui de droit (des impacts et de la répartition induite par la création de valeur) et pour optimiser cette création de valeur pour l’entreprise. Comment ? En identifiant mieux les risques et en allouant de façon sans cesse plus optimale les investissements. Par exemple, faut-il augmenter le prix de vente en dégradant la contribution du client ou faire baisser les prix de revient en dégradant les contributions des fournisseurs et/ou salariés ? Cette double voie est explicite dans le concept de « double matérialité ».

C’est là une réponse à une attente sociale et culturelle forte, où émerge la notion centrale de bien commun. Même si l’on a du mal parfois à percevoir les avancées concrètes dans cette direction, on note une exigence universelle pour des entreprises plus inclusives, plus soucieuses des répercussions sociétales, plus respectueuses de l’environnement, des droits humains, de l’éthique…

L’évolution de la gouvernance va dans ce sens, avec un rôle grandissant des salariés dans les instances dirigeantes et la constitution – certes largement insuffisante – de comités de parties prenantes regroupant les partenaires dits « non contributifs » (c’est-à-dire hors capital financier et capital humain).
De l’autre côté de l’Atlantique, la pression principale vient indéniablement des marchés financiers dont l’axiome majeur reste l’optimisation de la valeur financière de l’entreprise. « Majeur » ne signifie pas « exclusif » mais les diverses composantes du modèle d’affaires américain sont d’abord considérées pour leur capacité à augmenter la valeur pour l’actionnaire. Dit autrement, ce qui intéresse la gouvernance – sous la pression des investisseurs – dans une approche ESG, c’est l’identification (la seule identification ?) des informations de nature à avoir un impact financier pour l’entreprise. Cela n’est guère différent de l’un des deux axes du bloc européen mais, aux Etats-Unis, c’est le seul axe.

Il y a donc bien un écart de conception entre l’Europe et l’Amérique.
Cet écart de vision se réduit néanmoins puisque certains plaident avec véhémence pour que le « sustainability reporting », voué à compléter le
« financial reporting », ne se limite pas au premier stade de la « financial materiality » mais aborde aussi « l’impact materiality ».
Il existe donc des différences d’avancement entre les deux blocs quant à l’affirmation d’une nouvelle dimension de la gouvernance, mais pas une fracture réelle. Il y a les « premiers de cordée » et ceux qui sont à l’arrière. Aux premiers d’entraîner les autres.
Plusieurs arguments militent pour une lecture positive et universalisante :

  • Les trois qualités choisies comme clés d’une gouvernance efficace sont réellement enseignées comme telles dans les écoles de formation des élites, diffusées dans les cercles d’influence et vécues par les praticiens : l’écoute pour bien comprendre, le dialogue pour mieux construire, le discernement pour choisir avec pertinence et bon sens, compte tenu de la synergie des facteurs.
  • La reconnaissance du poids des « immatériels » dans la création de valeur.
  • Toutes les entreprises reposent sur une complexité de liens qui vont et viennent, de l’ancrage local au commerce international :
    force de travail, recherche, fournisseurs, clients, logistique… malgré des lois spécifiques, des règles différentes de comportement, de culture d’entreprise et de modes de communication…

Le chantier de la convergence transatlantique est manifestement ouvert. Souhaitons qu’il s’accélère.
Le regard local, l’action locale, doivent servir une ambition internationale et s’inscrire dans une vision universelle car le monde qui entoure chacun est global. Osons un néologisme : multiversel. Notre action doit être multiverselle. La prise en compte de l’intérêt des actionnaires n’est pas forcément incompatible, dans la durée, avec ceux des autres parties prenantes. Tout est question d’équilibre, tout est question d’écoute, de dialogue et de discernement.

Philippe Peuch-Lestrade
Strategic Senior Executive de l’International Integrated Reporting Council (IIRC)
Membre du Collège des Experts de l’ICR