L’Afrique dessine sa propre stratégie ESG
L’Afrique est le continent le moins polluant du monde mais c’est l’un de ceux qui souffrent le plus des effets du changement climatique (phénomène de sécheresse en Afrique de l’Est, érosion des terres en Afrique de l’Ouest). Par ailleurs, la population africaine aura doublé d’ici 2050 et à cette date, un africain sur deux aura moins de 25 ans.
Malgré ces enjeux climatiques et démographiques, en Afrique, la notion de Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE), c’est-à-dire la prise en compte volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales dans leurs activités, est la moins présente. La diffusion de la RSE en Afrique s’accélère certes depuis quelques années mais doit se poursuivre, ce qui implique une action coordonnée de tous les acteurs intéressés : entreprises, investisseurs et Etats.
Au niveau de l’entreprise, la RSE est relativement bien prise en compte par les groupes internationaux au sein de leurs filiales africaines, que ce soit par uniformisation de leurs pratiques de groupe ou par simple nécessité de se conformer à leur législation locale qui impose, au sein de leurs filiales étrangères, des obligations en matière de concurrence ou de compliance. La situation est plus contrastée pour les entreprises africaines elles-mêmes. L’Afrique souffre en effet à la fois du manque de mesures incitatives sur le plan fiscal ou social, et du poids considérable de son secteur informel, qui échappe aux réglementations. Pourtant, la grande majorité des structures africaines ayant entrepris une démarche de RSE a bénéficié de cette expérience, que ce soit sur le plan financier ou pour ce qui concerne l’engagement de ses salariés. L’exemple de la SIFCA en Côte d’Ivoire, société pionnière de la RSE africaine, démontre qu’une approche RSE anticipée et volontaire, appuyée sur une mobilisation à à tous les niveaux (gouvernance, salariés, sous-traitants), peut contribuer au succès de l’entreprise.
Sur le marché des capitaux, les investisseurs (et notamment les institutions financières de développement) prennent désormais en compte les critères environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance (ESG) avant d’octroyer des financements. Ces investisseurs sont pour la plupart adhérents aux « principes de l’Equateur », qui prévoient la prise en compte des enjeux ESG pour l’octroi de tout financement ou investissement supérieur à 10 millions de dollars . Une entreprise africaine qui souhaite avoir accès à ces financements doit se conformer à certains principes ESG et mettre en place une politique interne de responsabilité sociale et environnementale.
Au niveau des états qui veulent être présents en Afrique, la prise en compte des sujets RSE s’impose parfois à eux, comme le montre l’exemple de la société Twyford Ceramics au Sénégal. Cette usine chinoise de fabrication de carreaux de céramique, installée à Sindia, avait été inaugurée en grande pompe en janvier 2020 par le président Macky Sall et devait permettre de lutter contre le chômage des jeunes avec la création de 1500 emplois directs.
Mais en 2021, cette multinationale chinoise a connu d’importants troubles sociaux et des grèves, ses employés dénonçant leurs conditions de travail très éloignées des engagements pris. La situation a dégénéré, suscitant un véritable tollé public qui a nécessité l’intervention de la présidence sénégalaise. Cet exemple démontre que le seul critère financier ne suffira désormais plus aux pays africains quand ils sélectionneront leurs partenaires économiques de long terme. D’autres critères seront considérés. L’Afrique a vocation à changer progressivement de perspective. Elle doit passer d’un système privilégiant le « moins disant » à un système valorisant le « mieux disant ».
Ali Bougrine, Avocat associé, cabinet UGGC Africa
Victor Arnould, Avocat, cabinet UGGC Africa