AG 2022 | Say On Climate, partage de la valeur, gouvernance : quelques recommandations d’étudiants de l’ESSEC Business School ayant suivi le cours de droit des groupes et gouvernance
Comme chaque année, la saison des Assemblées Générales permet à Viviane de Beaufort, professeure de droit de l’ESSEC Business School, de faire s’approprier à des étudiants les bases en gouvernance responsable en partant du terrain. En 2022 le choix a été fait d’examiner les déclarations des entreprises du CAC40 en matière de Say On Climate, les pratiques de partage de la valeur et le fonctionnement et la composition des Conseils. En lien avec les recommandations du Jury des Grands Prix de l’Assemblée Générale et de la Mixité (ICR) et les questions émises par le FIR – à l’issue des travaux – ils ont tenté une série de recommandations pour la saison prochaine.
*Périmètre : Les étudiants ont suivi les AG et analysé la documentation d’une liste restreinte du CAC40 code terminée avec l’ICR, sur les trois thématiques suivantes : Say on Climate et engagements climatiques, partage de la valeur et gouvernance responsable.
Say On Climate, des engagements mais un cadre fixe et des normes homogènes à construire
Si on observe un temps plus important consacré au climat lors de cette saison des AG (1), les indicateurs de mesure des performances des entreprises en la matière y sont encore trop rarement explicités.
Sur plusieurs entreprises ayant présenté des résolutions climat ou – à minima – des engagements climatiques importants, on observe que les dirigeants se mobilisent en indexant une partie de leur rémunération variable sur des critères RSE. On note également des présentations très complètes des indicateurs d’émissions de gaz à effet de serre (GES).
Par ailleurs, les entreprises ont – pour la majorité – répondu en détails au questionnement du Forum pour l’Investissement responsable, ou procède à l’intégration d’une résolution climat, ou encore réalisé des présentations détaillant les enjeux et objectifs climatiques.
Cependant, si la présentation des ambitions « net zéro » et des émissions de GES représentent une avancée, il est important de souligner une absence d’indicateurs relatifs à la protection de la biodiversité, à la lutte contre la pollution et à la préservation des ressources.
Enfin, on note que peu d’entreprises vont jusqu’à détailler l’impact de leurs activités sur l’environnement.
Les recommandations des étudiants de l’ESSEC Business School sont les suivantes :
- Le législateur pourrait intervenir et mettre en place – à l’instar du mécanisme du Say On Pay – une règle, applicable aux entreprises cotées, qui consisterait à faire voter la politique climatique par les actionnaires.
- Si le Say on Climate devient une obligation pour les entreprises cotées, il doit s’appuyer sur un ensemble de normes. On peut – à titre d’exemple – citer les travaux de l’EFRAG qui pourraient arriver à échéance en 2024 et offriraient aux entreprises un cadre homogène de présentations d’engagements en matière de climat et de biodiversité.
Rémunération des dirigeants et dividende, un partage de la valeur à éclaircir
En matière de partage de la valeur, les étudiants ont essentiellement centré leurs travaux sur la présentation en AG des rémunérations des dirigeants et sur le dividende. Les observations et enseignements sont les suivants :
- Le ratio d’équité – encore trop peu présenté en AG – est considéré comme étant excessif si l’écart entre le salaire médian et le salaire du plus haut dirigeant dépasse un rapport de 1 à 50.
- La part variable de la rémunération doit reposer pour la majeure partie sur des critères complémentaires et vérifiables de nature ESG. Bien que de plus en plus de dirigeants intègrent des critères ESG/RSE dans leur rémunération variable, ces critères ne sont que peu voire pas explicités lors de la présentation des rémunérations. Par ailleurs, lorsqu’ils sont abordés, ces critères ne sont pas présentés pour l’ensemble des membres du COMEX ou du top management.
- L’attribution de stock-options comme mécanisme d’intéressement semble créer un désalignement entre : i) la mission du dirigeant sur le long terme, ii) les investissements socialement responsables et iii) l’intérêt des actionnaires.
- L’attribution d’actions gratuites pour les mandataires sociaux dirigeants doivent être limitées et les conditions de performance transparentes, exigeantes et mesurées sur le moyen terme.
- Les dirigeants ne devraient pas recevoir d’indemnités de départ sauf en cas de départ contraint (sans faute). Ces indemnités devraient être inférieures à un an de salaire fixe (sans excéder deux ans de salaire pour vingt-quatre ans d’ancienneté) afin d’être en alignement avec le dispositif actuel d’indemnités des salariés. Enfin, la perception d’indemnités de départ doit être conditionnée au fait que le dirigeant ne bénéficie pas déjà d’une rémunération totale dépassant le plafond de 100 fois le SMIC en France.
- L’indemnité de non-concurrence ne devrait pas dépasser 2 ans de rémunération et être exclue en cas de départ à la retraite
- Les régimes de retraites « surcomplémentaires » financés en particulier par les sociétés ne peuvent être considérés comme une pratique juste.
Au regard de ces observations, les étudiants préconisent de :
- Avancer vers une définition harmonisée de l’indexation de critères ESG sur la part variable de la rémunération des dirigeants ;
- Tenir compte de la nécessité – dans un contexte multirisque – de prévoir un montant de provisions suffisant pour d’une part, respecter les engagements climat et de protection de la biodiversité et d’autre part, anticiper des risques notamment géopolitiques liés aux implantations du groupe dans le monde ( voire revoir leur stratégie de globalisation et tendre vers une relocalisation;
- Consacrer un montant d’investissements permettant de garder une avance technologique face à une concurrence mondiale accrue.
Compétences, indépendance, structure : quels codes pour une gouvernance responsable ?
Le troisième volet analysé par les étudiants de l’ESSEC Business School concerne des aspects de gouvernance responsable : les nouvelles compétences requises dans les Conseils d’administration, l’indépendance des administrateurs, la question de l’âge et de la structure de la direction.
Si on note des points communs entre entreprises, certaines sont plus exemplaires que d’autres.
En matière d’indépendance des membres du Conseil, les normes en vigueur restent peu contraignantes. Le Code AFEP-MEDEF encourage la nomination d’une proportion suffisante d’administrateurs indépendants, or, les étudiants observent des disparités entre les Conseils majoritairement indépendants et ceux qu’ils considèrent comme étant « imprégnés » par la société. Par ailleurs, ils soulignent les trop rares présentations de nouveaux administrateurs en direct en AG, même si les informations les concernant sont accessibles dans la brochure de convocation. Ils ont aussi acté un trop grand cumul des mandats pour certains anticipant qu’ils ne peuvent réellement procéder à leur mission dans ces conditions.
Quant à l’ « indépendance des administrateurs », les étudiants préconisent donc de :
- Revoir le critère 6 du Code AFEP-MEDEF à la baisse (2). Aujourd’hui, l’indépendance est perdue au bout de 12 ans de mandats. En réduisant cette durée à 6 ans, il y aurait une plus grande cohérence avec le critère 1 (3) ;
- Limiter le nombre de mandats d’administrateur et postes exécutif à 2 en plus du poste exercé par l’administrateur dans la société. Cela permettrait de : i) garantir un investissement certain des administrateurs et ii) d’éviter la délégation de travail qui biaise les critères de compétences et d’indépendance.
Enfin, ils se sont intéressés à ce que disent la loi et les Codes AFEP-MEDEF et Middlenext en matière d’âge, de succession et de structure de la direction.
Il n’existe aucune norme fixant un âge limite pour les dirigeants exécutifs. Cependant, la loi prévoit – par défaut – un âge limite de 65 ans pour les dirigeants des SA et SCA, ainsi qu’une limite (elle aussi supplétive) du tiers des administrateurs qui auraient dépassé les 70 ans. Par ailleurs, une limite d’âge peut être inscrite dans les statuts des entreprises. Les étudiants ont constaté une moyenne d’âge des administrateurs de 55 ans et un âge des dirigeants souvent avancé.
Concernant la structure de la direction, si la loi et le Code AFEP-MEDEF ne favorise aucune structure spécifique (duale ou moniste) et laisse au Conseil d’administration le soin de justifier sa décision, le Code Middlenext encourage une structure duale. Les groupes qui n’optent pas pour une séparation des pouvoirs sont appelés à s’expliquer dans le cadre du Comply or Explain. Il est à noter que la structure duale se renforce encore faut-il remarquent les étudiants que le duo DG et président du Conseil fonctionne réellement.
Au regard de ces constats, ils proposent de modifier les codes de gouvernance d’entreprise ainsi :
- Etablir un âge limite pour les dirigeants similaire à l’âge de la retraite des employés (65 à 70 ans) ;
- Recommander aux dirigeants exécutifs de prévoir leur succession 3 ans avant le départ envisagé ou en cas d’atteinte de la limite d’âge ;
- Favoriser la structure duale de manière plus explicite ;
- Faire du Président du Conseil d’administration non-exécutif un administrateur independant puissant ;
- Créer systématiquement un shadow Comex à l’image d’AccorHotels pour avoir un regard de plus jeunes et former ceux ci
Les travaux réalisés – sous la direction de Viviane de Beaufort, professeure à l’ESSEC Business School – ont été réalisés :
Sur le Say On Climate par : Morgane Delahaye | Thibault Pateyron | Paul Pernot | Marie Pietri | Marion Prosillico | Rayan Rifai | Arthur Rossillon | Jules Teste | Damien Verrelli | Charles Vincent | Nicolas Vincenti
Sur le partage de la valeur par : Grégoire Baisle | Thomas Boittiaux | Léa Bovery | Cesar Bou Merhi | Geoffroy Coinchelin | José De Abreu | Elise de Valicourt | Léa Dorascenzi | Benjamin Douheret | Tanguy Godeau
Sur la gouvernance par : Agathe Hanrot | Alexandre Gorsse | Daphné Le Yaouanc | Marie-Hermine Gouiffes Natali | Pierre Guezenec | Rémi Leroy | Victoria Leiseing | Xavier Lemaistre | Vincent Mazoyer | Louise Mevellec
(1) Bilan des AG 2022 par l’Institut du Capitalisme Responsable
(2) Ne pas être administrateur de la Société depuis plus de 12 ans. La perte de la qualité d’administrateur indépendant intervient à la date anniversaire des douze ans.
(3) Ne pas être ou ne pas avoir été au cours des cinq années précédentes :
- salarié ou dirigeant mandataire social exécutif de la société ;
- salarié, dirigeant mandataire social exécutif ou administrateur d’une société que la société consolide ;
- salarié, dirigeant mandataire social exécutif ou administrateur de la société mère de la société ou d’une société consolidée par cette société mère.