10 ans après le Rana Plaza, les chaînes de valeur sont-elles plus responsables ?

Le 10 mai dernier, l’ICR a participé à la conférence « Rana Plaza, plus jamais ça ? » aux côtés d’une centaine d’acteurs engagés pour la responsabilité sociale et environnementale des entreprises (ONG, think tanks, élus, universitaires…). Organisée à l’Assemblée Nationale par le député de Meurthe-et-Moselle Dominique Potier et en duplex avec la Friedrich Ebert Stiftung à Berlin, la conférence a pris pour point de départ la tragédie du Rana Plaza pour évoquer comment, dix ans plus tard, les entreprises prennent en compte les droits humains et la protection de l’environnement dans leurs chaînes d’approvisionnement.

Le 24 avril 2013, un bâtiment de Dacca (Bangladesh), abritant plusieurs ateliers de confection, s’est effondré en raison de négligences sur les règles de sécurité. Cette catastrophe a entrainé la mort de 1 000 personnes. Le désormais tristement célèbre Rana Plaza était en réalité un lieu de sous-traitance, tout au bout de la chaîne d’approvisionnement de plusieurs multinationales du textile. « Depuis cette tragédie, la situation s’est nettement améliorée au Bangladesh, notamment grâce à un accord pour la sécurité des bâtiments coconstruit entre l’État, la société civile et les entreprises », s’est félicité Reiner Hoffman, Vice-président de la Friedrich Ebert Stiftung. Selon Bärbel Kofler, Députée et Secrétaire d’Etat allemande, « cette initiative multi-parties prenantes a permis de remédier à plus de 100 000 défauts constatés dans le pays ». En dépit de l’amélioration des règles de sécurité, Farah Kabir, Directrice d’ActionAid au Bangladesh, a insisté sur la grande précarité des travailleurs du pays : « Les entreprises doivent prendre leurs responsabilités. Nous pouvons travailler ensemble pour développer un écosystème heureux. Rappelons-nous que nous dépendons de ces travailleurs pour notre approvisionnement. »

Un accélérateur pour la responsabilité des entreprises

Pour l’ensemble des intervenants, le caractère fédérateur de la tragédie du Rana Plaza ne fait pas de doute. « Au-delà de l’émotion planétaire, cet événement a été un moment de prise de conscience dans la mondialisation et a joué un rôle d’accélérateur pour la loi sur le devoir de vigilance », a affirmé Dominique Potier. Pour l’ancien rapporteur de ce texte désormais emblématique, la nécessité d’instaurer un devoir de vigilance a été portée au premier plan par cette tragédie. Même constat pour Nele Meyer, Directrice de la « Coalition européenne pour une justice des entreprises » : « Le Rana Plaza a fait bouger les lignes. Nous sommes passés de : « Avons-nous vraiment besoin de régulations ? » à « Quelles formes ces régulations doivent-elles prendre ? » ». Ce mouvement en faveur de la responsabilité s’est aussi fait sentir chez les entreprises, qui sont nombreuses à avoir adhéré depuis aux principes directeurs de l’ONU en matière de respect des droits humains.

La portée du devoir de vigilance toujours en débat

Après une première table ronde sur les enjeux auxquels fait face la filière du textile, les conférenciers se sont penchés sur l’évolution du devoir de vigilance. La loi française de 2017 a créé un « vecteur de cohérence » dans le foisonnement normatif en faveur de la responsabilisation des entreprises, s’est réjouie Pauline Abadie, Maître de conférences en droit privé à l’Université Paris-Saclay. Elle s’est néanmoins inquiétée d’un certain flou autour de ce texte, qui mentionne uniquement la cartographie des incidences sur les « droits humains », alors que la loi allemande – effective depuis janvier – précise l’ensemble de ces droits en se fondant sur la classification des instances internationales. La lecture de la loi est également problématique pour Lucie Châtelain, Responsable plaidoyer et contentieux chez Sherpa : « D’un côté, la société civile se réjouit de disposer d’un standard contraignant pour les entreprises. De l’autre, les entreprises adoptent une approche de compliance et se contentent de la publication d’informations généralistes sans remettre en cause la nature de leur activité ». La Directive sur le devoir de vigilance en cours d’élaboration au niveau européen permettra-t-elle de lisser ces différences d’interprétation ? Dominique Potier s’est montré optimiste : « Aux côtés de la CSRD et en conjonction avec la montée en puissance de la RSE, cette directive traduit l’émergence d’un mouvement européen en faveur du climat et des droits humains ». Malgré les incertitudes exprimées sur la portée de ce texte, notamment sur le secteur financier, l’ensemble des intervenants se sont accordés sur un point : l’Europe est en première ligne pour devenir la grande puissance régulatrice mondiale en matière de critères ESG. Elle y parviendra à condition que les entreprises, le régulateur et la société civile travaillent de concert à la responsabilisation des activités économiques sur l’ensemble de la chaine de valeur.

par Adrien Steck, responsable de projets à l’Institut du Capitalisme Responsable