Lancement de l'Observatoire du Partage de la Valeur | Interview croisée
A l’occasion du lancement de l’Observatoire du Partage de la Valeur, Caroline de La Marnierre, Présidente et Fondatrice de l’ICR, et Philippe Peuch-Lestrade, membre du Collège des Experts et co-coordinateur de l’Observatoire, présentent la mission de l’Observatoire du Partage de la Valeur et reviennent sur la nécessité d’un partage plus équilibré, équitable dans la construction d’un nouveau modèle de capitalisme, plus responsable.
Pourquoi lancer un Observatoire du Partage de la Valeur
Caroline de La Marnierre : Parce qu’au-delà des objectifs financiers et sociaux, le partage de la valeur est devenu un vrai sujet sociétal. Les dispositifs visant à répartir plus équitablement la valeur se multiplient : dividende salarié, prime de partage de la valeur, propositions d’amendements sur les superdividendes. Nous observons une exigence croissante de rejet des inégalités au sein de la société. Les débats et les esprits sont accaparés par l’inflation et son impact sur le pouvoir d’achat. Les versements de dividendes aux actionnaires font, depuis plusieurs années, l’objet de vives contestations et les salariés réclament une revalorisation de leur rémunération. Cette situation menace de creuser un fossé grandissant entre, d’une part, les salariés et la société civile d’un côté, les entreprises de l’autre.
Dans ce contexte, comment les dirigeants peuvent-ils expliquer et justifier leur stratégie de partage de la valeur ? À l’Institut du Capitalisme Responsable, nous sommes convaincus d’une chose : un travail considérable de pédagogie est nécessaire pour montrer en toute transparence comment une entreprise crée et distribue la valeur. Notre objectif premier est de définir, contextualiser et valider ce que serait un meilleur partage de la valeur dans telle ou telle entreprise. C’est pour cette raison que nous lançons, en octobre 2023, l’Observatoire du Partage de la Valeur.
Philippe, pourquoi avez-vous accepté d’en être le co-coordinateur ?
Au cours des vingt dernières années, j’ai souvent été confronté à des débats sur les composantes de la valeur de l’entreprise, c’est-à-dire sur les conditions de création de valeur. Au fil des réflexions il est apparu, partout dans le monde, que la réussite des entreprises provenait de l’optimisation des combinaisons ( le « business model ») entre les apports des différents contributeurs. Aussi semblait-il nécessaire de se pencher sur la question du concours des clients, des fournisseurs, des autorités publiques, etc. , tout autant que celui des apporteurs de capitaux ou des talents et compétences de la « force de travail ».
Au sein du Collège des Experts de l’ICR, nous sommes convaincus que l’ élargissement des devoirs des dirigeants pour intégrer au mieux – dans leur stratégie et leurs opérations – les enjeux dits extra financiers, se complète par la question du partage de la valeur créée. L’assemblage équilibré des facteurs de réussite doit s’accompagner d’une mesure de l’intérêt identifié par l’entreprise pour elle-même des divers apports mais aussi de l’impact positif ou négatif desdits facteurs (concept dit désormais de double matérialité).
Des publications et prises de parole ont été effectuées par l’ICR en ce sens. Je pense que, dorénavant, les entreprises, à partir de leurs expériences et initiatives, peuvent amplifier la portée de leurs actions et réflexions, en cherchant ensemble comment aller plus loin, en renforçant leur rôle de catalyseur des diverses forces qui donnent à chacune sa spécificité, sa cohérence, son attrait.
En quoi un meilleur partage de la valeur, plus équilibré, plus équitable, incarne-t-il un capitalisme plus responsable ?
Caroline de La Marnierre : Je considère le partage de la valeur comme étant l’une des clés de voute de la responsabilité. Cette notion est généralement abordée sous trois angles seulement : la distribution des profits entre les salariés et les actionnaires, les disparités de rémunération entre les dirigeants et les employés, et les aspects fiscaux. Cela ne suffit pas à traiter le problème dans toutes ses dimensions. Pour un partage de la valeur équilibré, il est urgent de prendre aussi en compte la valeur des actifs immatériels, la politique fiscale, la politique d’achats et de sous-traitance, ainsi que les contributions de l’entreprise à la société. Si l’entreprise veut inscrire pleinement sa politique de responsabilité dans le sillage de ses engagements ESG, le partage de la valeur devient un instrument de choix.
Philippe Peuch-Lestrade : Je constate qu’une majorité d’acteurs économiques (et politiques, cf les discussions autour de la loi Pacte) intègrent les dimensions sociales, sociétales et environnementales aux « fondamentaux » de leurs actions, à côté et en socle durable de leur performance, telles que mesurées par la comptabilité financière.
Aujourd’hui il convient d’écrire une nouvelle page de l’histoire du capitalisme, système de création et de distribution de richesse: c’est l’enjeu de garantir la pérennité de ce système (1), en favorisant aussi sa meilleure acceptabilité. Cela suppose la pleine intégration des attentes sociétales ; or qui dit question dit besoin de réponse !
C’est ainsi que ce thème est clé pour un capitalisme qui se veut responsable, conscient en outre qu il vaut mieux réformer le système de l’intérieur. Nécessité d’une dynamique qui passe par une meilleure inclusion des acteurs formant l’écosystème de l’entreprise.
(1) j aime citer d cette phrase de Lampedusa dans LE GUÉPARD « si nous voulons que rien ne bouge , il faut que tout change »