Simple ou double ? La matérialité au cœur du débat

Le 18 octobre 2023, le Parlement européen a rejeté la proposition de résolution visant à assouplir les normes ESRS comprises dans la directive CSRD. Ces normes entreront – comme prévu – en vigueur dès le 1er janvier 2024. C’est un pas en avant essentiel pour un avenir plus respectueux de l’environnement et socialement responsable mais, depuis quelques jours, le  débat a repris…

Pour rappel, la comptabilité extra financière vise à mesurer l’impact des activités sur son écosystème. Devenue un outil essentiel pour aborder les enjeux environnementaux et sociaux, l’approche de la matérialité en comptabilité d’entreprise est au cœur d’une controverse intense.

L’Europe a adopté une approche ambitieuse en matière de matérialité, elle exige des entreprises qu’elles prennent en compte non seulement l’impact de leurs activités sur l’écosystème mais également l’impact de l’écosystème sur leurs activités. Dans le monde, cette approche est loin de faire l’unanimité. Des voix s’élèvent pour refuser cette extension de la matérialité.

Emmanuel Faber, ancien président de Danone et président de l’ISSB (International Sustainability Standards Board), est l’une des figures de proue de cette controverse. Dans une tribune intitulée « Comptabilité d’entreprise : « Exiger que la matérialité s’étende au-delà du domaine économique est en réalité simpliste » publiée le 10 octobre dernier, il remet en question la « double matérialité » des normes de reporting extra financier que l’Union européenne s’apprête à mettre en place. Il  a même qualifié cette approche de « simpliste » en soulignant trois illusions qu’elle entretiendrait : i) l’extension de la matérialité au domaine socio-environnemental simplifie trop la complexité des enjeux et risque de sous-estimer l’importance des considérations financières dans les décisions d’investissement, ii) la double matérialité permet une comptabilisation exhaustive des impacts des entreprises, mais c’est  irréaliste car impossible  à mettre en œuvre, iii)  la double matérialité peut être coercitive pour les entreprises en les obligeant à respecter les accords climatiques. Concernant ce dernier point, Faber émet des réserves sur l’efficacité de cette approche de la durabilité, affirmant que la matérialité financière des marchés reste un outil puissant pour influencer les décisions d’investissement.

Experts et acteurs en matière de durabilité ont réagi dans les jours suivants en soutenant que l’approche ISSB  serait insuffisante pour répondre aux défis du changement climatique. Ils estiment que, même si la matérialité est difficile à définir, elle reste un outil essentiel pour la prise de décision et pour orienter les entreprises vers des pratiques plus durables.

Dans une tribune publiée dans l’Agefi, en réponse à la tribune d’Emmanuel Faber, 38 experts et responsables économiques soulignent :  « exiger que la matérialité s’étende au-delà du domaine économique nous permet tout simplement de nous assurer que nos enfants auront peut-être un avenir sur terre », ils avancent que « nous ne pourrons pas atteindre nos objectifs en recyclant les recettes du passé : il va nous falloir faire évoluer nos systèmes et nos métriques. »

Pour sa part, l’ICR est très attaché à la double matérialité, même si sa mise en œuvre est effectivement très complexe – comme le souligne avec justesse Emmanuel Faber – car elle formalise l’équation qui se joue entre les enjeux financiers et les impacts qu’ils engendrent sur notre Société, aux plans Environnemental, Social et Sociétal. La double matérialité donne donc – et de façon incontestable – une colonne vertébrale à la durabilité.

Et vous ? Pour ou contre la double matérialité ?

A lire ou relire sur le même sujet :