INTERVIEW | Hétérogénéité des méthodologies (2/2) : pour des données harmonisées de la qualité de vie au travail et du bien-être des salariés
Au cours de la session du Collège des Expertes et des Experts de l’ICR du 13 juin dernier, nous avons accueilli Fabrice Murtin, Head of Research, Modelling and Advanced Analytics à OECD Centre on Well-Being, Inclusion, Sustainability and Equal Opportunity (WISE). Il est revenu sur le manque d’homogénéité, selon les pays, dans la mesure de la qualité de vie au travail et du bien-être des salariés.
Bien-être des salariés et qualité de l’environnement de travail, deux sources de valeur pour les collaborateurs et collaboratrices
Depuis une dizaine d’années, l’OCDE s’attache à la mesure de la qualité de vie au travail. A ce titre, nous avons mis en lumière que la qualité de l’environnement de travail est source de création de valeur pour les salariés et pour les entreprises. L’OCDE a publié des guidelines qui ont, par la suite, été opérationnalisées avec des indicateurs relatifs à la qualité de l’environnement de travail.
La qualité de l’environnement de travail est définie ainsi : les demandes auxquelles sont soumis les salariés correspondent aux ressources dont ils disposent pour répondre à ces demandes. Parmi les demandes, nous prenons en compte les risques physiques, les efforts physiques, les pressions psychologiques (intimidation, discrimination). D’autres facteurs sont également évalués : intensité du travail, durée d’une journée de travail ou encore les plannings de travail non sociaux. De leurs côtés, les ressources comprennent le soutien social perçu par les salariés, leur autonomie dans l’organisation du travail, la participation organisationnelle, la flexibilité du temps de travail, les formations dont ils bénéficient, les perspectives de progression dans l’entreprise et enfin la valeur intrinsèque conférée au salarié par le travail.
C’est la différence entre les demandes et les ressources qui fixe le niveau de stress au travail. Lorsque les demandes excèdent les ressources dont disposent les salariés, nous considérons qu’ils sont en situation de stress. Dans les pays de l’OCDE, pour un tiers des salariés, les demandes excèdent ces ressources. A l’inverse, 50 % des salariés disposent de ressources suffisantes.
Nous ne notons pas de disparité entre les genres, les générations et les types de contrat des travailleurs, mais nous observons des écarts marqués en fonction du secteur d’activité du salarié ou de son niveau éducatif.
Fait marquant : dans la décennie 2010, nous avons observé une légère amélioration de l’indicateur de stress au travail. Explication : les salariés perçoivent une amélioration de leurs perspectives de progression au travail et l’amélioration des dispositifs de formation mis en place par les entreprises.
Quels sont les déterminants de la santé et du bien-être des salariés au travail ?
Nous retenons plusieurs indicateurs tels que la satisfaction vis-à-vis du travail, les mesures adoptées par les entreprises en matière de santé physique et de santé mentale et nous les avons intégrés dans un modèle économétrique adapté aux caractéristiques de travail réalisées par les salariés.
Il en ressort que les déterminants les plus importants ont trait à la qualité des relations interpersonnelles sur le lieu de travail. Les principaux facteurs négatifs identifiés sont la perception d’une intimidation ou de discriminations sur le lieu de travail. Réciproquement, le sentiment de bénéficier d’un soutien social au travail est un facteur déterminant du bien-être physique et mental, donc de la satisfaction sur le lieu de travail.
Quel intérêt pour les entreprises de s’emparer de ce sujet ?
La littérature commence à établir un lien de causalité entre bien-être des salariés et performance de l’entreprise. On remarque que les entreprises qui disposent de programmes relatifs au bien-être et à la santé des collaborateurs sont plus performantes en Bourse. Une causalité qui motive sans nul doute les investisseurs.
Un universitaire d’Oxford confirme des corrélations très fortes : les entreprises les plus performantes en Bourse sont celles où la qualité de l’environnement de travail et le bien-être des salariés sont parmi les plus élevés dans l’échantillon des entreprises cotées.
Néanmoins, il n’existe pas – à ce jour – d’étude de référence établissant un lien de causalité clair entre l’amélioration de la qualité de l’environnement de travail, le bien-être des salariés et la performance en Bourse d’une entreprise. Cela viendra mais il faut mettre en place un protocole scientifique, ce qui prend du temps.
Quels sont vos travaux en cours en la matière ?
A l’OCDE, et plus particulièrement au « Centre du bien-être, de l’inclusion, de la soutenabilité et de l’égalité des chances »(WISE) nous proposons une enquête sur le bien-être des salariés. Cette enquête répond aux standards de l’OCDE. Nous l’avons d’ores et déjà pilotée sur 4 multinationales japonaises. Cette enquête produit des rapports automatisés, que nous pouvons envoyer aux entreprises. Nous mettons cette enquête à disposition des entreprises gratuitement.
Cette enquête aborde le sujet de la qualité de l’environnement de travail et du bien-être des salariés car il y a encore beaucoup de travail à faire sur ce sujet. Les entreprises disposent de leurs propre infrastructures de mesure et les données récoltées restent confidentielles, privées. Il n’y a pas d’harmonisation entre les différentes entreprises et l’OCDE n’a pas le pouvoir de forcer cette harmonisation contrairement aux Etats.