Trump, la CSRD et nous
Ici, à l’ICR, nous l’avons dit et répété : la responsabilité est une démarche que l’entreprise doit affiner sans cesse, mais dont l’utilité se révèle surtout par gros temps, à condition, bien sûr, de l’avoir solidement installée quand le temps était beau. Le gros temps est là. Depuis trois ans, la guerre en Ukraine a fait exploser les prix de l’énergie, et l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, le 5 novembre, est porteuse d’incertitudes et de risques pour de nombreuses entreprises.
On connaît l’hostilité du nouveau président américain à la RSE et aux politiques d’inclusion, où ses partisans voient un « corporate wokism ». Mais ce n’est pas tout. Si le président américain met à exécution sa menace de relever nettement les droits de douane, exporter vers les États-Unis va devenir plus difficile, la compétition avec la Chine va s’intensifier, et la pression financière va s’accroître.
À travers l’Europe, pour certains milieux patronaux et dans certains partis politiques, le moment est propice. Ils proposent une « pause », un « moratoire » dans l’application de la CSRD, la directive européenne sur la durabilité, dénoncée (surtout par ceux qui ne l’ont pas lue) comme un reporting bureaucratique étouffant, alors qu’elle propose tout simplement un véritable système métrique de la responsabilité. Les deux messages qu’adressent ces hésitants sont les suivants : la responsabilité est secondaire par rapport au profit et constitue un handicap face à la concurrence.
Dans ces conditions, comment, pour une entreprise, résister à la tentation de réduire la voilure sur les enjeux ESG pour protéger ses marges ? La réponse pourra surprendre : elle ne doit même pas se poser la question, ou plutôt elle doit avoir dépassé cette question. Au moment où la crise éclate, l’entreprise doit avoir acquis assez de maîtrise des différents outils de la responsabilité pour s’être prouvée à elle-même que cette démarche est un outil de performance et de rentabilité, pas simplement une liste de coûts de conformité à réduire à tout prix.
Ne soyons pas myopes, ne regardons pas le doigt au point de rater la lune. Ne ramenons pas la CSRD à un diktat de reporting alors qu’elle offre à l’entreprise l’opportunité d’une vraie réflexion stratégique sur la durabilité. Le moment de tension que vit le monde en 2024 est l’occasion de tester nos engagements. Si le capitalisme n’est responsable que quand tout va bien, il rend un fier service à ses détracteurs.
Stéphane Marchand