À l’occasion de la première édition de l’Atelier des Observatoires de l’Institut du Capitalisme Responsable, Nathalie Lhayani, Présidente du Forum pour l’Investissement Responsable (FIR) et directrice de la politique durable du Groupe Caisse des Dépôts, est revenue sur les grands défis en matière de capitalisme responsable et plus particulièrement en matière de partage de la valeur, de dialogue actionnarial, d’inclusion et de matérialité des enjeux sociaux et environnementaux.
Les points essentiels de son allocution.
« Notre objectif est de transformer le capitalisme financier pour qu’il contribue de manière plus concrète, plus opérationnelle à une économie soutenable. Pour y parvenir, nous nous appuyons sur un dialogue permanent avec toutes les parties prenantes. »
Le FIR rassemble des investisseurs institutionnels, des gestionnaires d’actifs mais aussi des syndicats, des ONG et un grand nombre de représentants de la société civile tels que des prestataires de données, des chercheurs ou encore des journalistes. Avoir un dialogue sur les enjeux d’investissement responsable avec l’ensemble de ces parties prenantes est aujourd’hui indispensable.
Penser les questions de capitalisme durable, de réforme du capitalisme en oubliant les postures, en privilégiant l’engagement et en cherchant la transformation profonde des business models des entreprises, de nos systèmes économiques, voilà ce qui rassemble aujourd’hui deux organisations telles que le FIR et l’ICR.
« Nous sommes face à des urgences non seulement environnementales mais aussi sociales qui nous emmènent dans le mur. »
Pour promouvoir l’investissement responsable, le FIR a identifié trois leviers d’action :
- La finance à impact pour optimiser l’orientation des capitaux vers une transformation durable des organisations ;
- La redirection durable de l’économie par l’identification des secteurs néfastes à une transition écologique, à une Transition Juste ;
- La transformation des entreprises par l’inclusion et le dialogue actionnarial.
Par ailleurs, il est important de souligner que les investisseurs et les actionnaires jouent un rôle essentiel dans cette transformation. C’est en encourageant le dialogue actionnarial sur la gouvernance, le climat, la biodiversité et les enjeux sociaux, que cette transformation pourra réussir.
Démocratie actionnariale et gouvernance : principales préoccupations des investisseurs responsables en France
En 2023, une bataille a été menée par le FIR pour une généralisation des « Say On Climate », pratique encore peu répandue dans l’hexagone.
Pour rappel, le « Say On Climate » consiste – pour les entreprises cotées – à présenter leur stratégie climat devant leurs actionnaires, leur permettant de se prononcer sur leur trajectoire climatique.
Cette initiative vise non seulement à orienter efficacement l’activité des entreprises vers des pratiques plus durables, mais aussi à permettre aux investisseurs responsables de mieux diriger leurs capitaux.
Cependant, la volonté de généraliser le « Say On Climate » a rencontré des réticences significatives du côté du management des entreprises. Certains considéraient le vote des actionnaires sur la politique climatique comme une menace remettant en question leur pouvoir en tant que responsables de la stratégie de l’entreprise. Les débats ont mis en lumière des enjeux profonds de gouvernance, plus particulièrement en matière de répartition des rôles entre actionnaires et direction d’entreprise.
« Le FIR ne compte pas lâcher prise sur la généralisation du « Say On Climate » et continuera à travailler sur ce sujet en maintenant un dialogue ouvert avec les représentants des entreprises. »
Finance responsable : faire face à la méfiance des épargnants
Chaque année, avec l’IFOP, le FIR sonde les épargnants à l’occasion de la semaine de la finance responsable. Ces sondages montrent – année après année – que les produits financiers responsables sont encore trop peu connus et sujets à la méfiance des investisseurs individuels.
Plusieurs enquêtes ont révélé que des fonds labellisés ISR d’entreprises du secteur fossile et quelques cas de greenwashing dans le monde financier ont accru cette méfiance.
C’est pour cette raison que le FIR travaille sur la pédagogie des labels, notamment du Label ISR, et sur le renforcement des exigences de ceux-ci.
En outre, un travail de pédagogie est mené auprès des jeunes investisseurs qui s’interrogent sur ce que devient leur argent et comment l’orienter vers des produits durables. Seuls 13 % des épargnants se voient aujourd’hui proposer des produits d’épargne responsable. Le FIR souhaite mobiliser les conseillers bancaires, au cœur de ces sujets, pour qu’ils proposent de façon beaucoup plus systématique ces produits.
Partage de la valeur : le pour et le contre du déploiement massif de l’actionnariat salarié
Sur les sujets d’actionnariat, un travail est mené avec les syndicats qui s’interrogent sur le risque que représente l’actionnariat salarié. Le FIR constate – à la suite de ces échanges avec les syndicats – une légère réticence à développer massivement ce dispositif. Si l’entreprise va mal, détenir des actions de l’entreprise peut avoir de réelles conséquences financières. Il est donc important que les enjeux et inquiétudes exprimés par les syndicats soient entendus et pris en compte dans les travaux et recommandations du FIR.
Rachat d’actions : les entreprises interrogées sur leur politique
En matière de rachat d’actions, le FIR sonde – chaque année – les entreprises du CAC40 sur leurs pratiques en amont des AG. Le constat est le suivant : seules 15 des entreprises du CAC40 traitent correctement ces questions dans les réponses écrites. L’Oréal, Orange et Renault sont en tête des entreprises qui justifient de manière claire et lisible leur politique de rachat d’actions.
CSRD : levier de transformation durable et de renforcement des ambitions
La matérialité et plus précisément la CSRD, occupe beaucoup nos entreprises aujourd’hui. L’enjeu est bien sûr de faire de cette directive non seulement un outil de reporting mais aussi un levier de transformation, d’impact et de renforcement des ambitions des entreprises sur tous les sujets ESG.
En matière de matérialité des enjeux sociaux et environnementaux, l’ambition du FIR est d’outiller les investisseurs pour qu’ils parviennent à mieux identifier les secteurs à impact et les entreprises qui ont engagées une transformation profonde. Cela passe notamment par la notation des stratégies climat des entreprises avec l’ADEME, ou encore les questions écrites adressées aux entreprises en amont de la saison des AG.
Promouvoir l’inclusion : Un engagement fort du Conseil d’administration du FIR
L’inclusion occupe une place centrale dans les préoccupations du Conseil d’administration du FIR. En collaboration avec d’autres acteurs de la finance responsable tels que France Invest et Finansol, le FIR a développé une plateforme sur la finance à impact. Ensemble, ils s’efforcent de créer une taxonomie sociale, notamment en cherchant à déterminer ce qui peut être considéré comme de l’inclusion, au-delà de ce qui est couvert par la CSRD.
Les experts ayant travaillé sur la taxonomie européenne ont tenté d’élaborer une version sociale, malheureusement sans succès, auprès des institutions européennes. Cependant, Nathalie Lhayani souligne que « le FIR reprend le flambeau avec détermination ».
Un point majeur de cette démarche est d’explorer ce que le « S » de « ESG » devrait englober. Outre les normes de la CSRD, l’accent est mis sur une vision plus complète de l’inclusion prenant notamment en compte la lutte contre le travail forcé, le travail des enfants ou encore le handicap.
On le sait tous, l’inclusion va au-delà de l’égalité femmes-hommes, bien qu’il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine. C’est pourquoi, le FIR travaille activement à définir rigoureusement les concepts, fournissant des outils aux investisseurs responsables afin qu’ils puissent interroger les entreprises dans lesquelles ils investissent sur ces questions cruciales.