Le capitalisme d’État chinois prépare sa solution climatique

La question du réchauffement climatique au XXIè siècle sera l‘équivalent de celle du pétrole au XXè. La COP26 de Glasgow a enfin mis en lumière le fait que la transition énergétique sera à la fois violente et coûteuse, et qu’elle déterminera les rapports géostratégiques au sein de notre monde post-Covid. Loin de la coopération mondiale souhaitée, les divergences d’intérêts apparues entre États-Unis, Chine et Europe laissent malheureusement anticiper de probables affrontements entre les grands blocs dans le futur.

L’empire du Milieu souffre d’un relatif désavantage compétitif au départ de cette course à la survie de la planète. “Atelier du monde” depuis l’année 2001, il a vu lors des deux dernières décennies l’Occident intelligemment délocaliser en Chine les activités les plus polluantes, à une époque où le coût environnemental n’était pas encore facturé. Anticipant son pic d’émissions de CO2 pour 2030, Pékin ne se donne que trente ans pour atteindre la neutralité carbone dès 2060, quand Europe et États-Unis s’accordent une cinquantaine d’années entre les deux étapes. En prenant en compte la différence de future croissance du PNB entre les régions, on voit donc que la Chine devra travailler cinq à dix fois plus rapidement que l’Occident si elle veut tenir ses objectifs très ambitieux. Aux yeux des dirigeants chinois, cette “mission impossible” requiert un autre type de gouvernance, reposant sur un capitalisme d’État et un partenariat public-privé, lui-même construit sur trois piliers principaux.

D’abord un État stratège, prêt à prendre des paris technologiques très forts dans la durée, seuls à même de construire un leadership mondial. L’idée est d’identifier les meilleures technologies du futur, et de prendre le risque d’en réduire dramatiquement la structure de coûts grâce à des économies d’échelle apportées par des volumes sans précédent et alimentées par d’extravagantes subventions publiques – à hauteur de plusieurs dizaines de milliards de dollars. Ce fut le cas, dans la décennie 2010, de l’industrie solaire, dont la chaîne de valeurs est désormais pour les deux-tiers, voire les trois-quarts, sous domination chinoise. C’est le cas, aujourd’hui, du marché de la batterie électrique, dont la Chine occupe la pole position. Ce sera peut-être le cas, demain, de la capture du carbone, dont on anticipe qu’elle devrait être la principale solution aux émissions de CO2.

Deuxième pilier : le sang le plus entrepreneurial du monde, moteur du secteur privé chinois et de son unique capacité d’adaptation à des circonstances en évolution permanente. Cet avantage est renforcé par la prédominance des femmes chinoises dans la sphère des affaires, leur assurant la majorité, tant dans le nombre de créations de start-ups que sur la liste des milliardaires chinois. Elles sont, par un biais culturel, d’autant plus sensibles à la cause environnementale qu’elles y voient un avantage compétitif clé dans leur future offre de produits et services.

Le troisième pilier de ce nouveau capitalisme d’État chinois est celui qui reste le plus difficile à appréhender par les Occidentaux : la jeunesse du consommateur et son surprenant pouvoir d’achat, alimenté par l’épargne des deux générations précédentes. Ces Millenials et Génération Z sont encore plus attirés que leurs contemporains occidentaux par la cause environnementale, sous l’effet de la pollution à laquelle ils sont exposés quotidiennement. De plus, ils jouissent du pouvoir économique d’imposer les nouveaux modes de consommation fondés sur l’économie du partage. Cette « économie collaborative », rendue possible par l’accélération de la digitalisation, est désormais perçue comme une évidence, compte tenu de la densité de population urbaine en Chine.

En conclusion, l’année 2021 aura vu en Chine la brutale introduction d’une nouvelle gouvernance de l’internet, après la digitalisation à marche forcée des vingt dernières années, en opposition frontale au laisser-faire américain toujours impuissant face aux monopoles des GAFA. Il est à parier que, de la même manière, le gouvernement chinois aura à cœur, dans l’avenir, de développer son propre système de gouvernance environnementale qui, en verdissant la Grande Muraille, risque bien de nous surprendre à nouveau.

David Baverez
Investisseur, résidant à Hong Kong depuis dix ans.
Auteur de Chine-Europe : le grand tournant (Le Passeur, 2021).