Former les leaders de demain à la nouvelle complexité

Dans un contexte économique, politique, social, et sanitaire à la fois mouvant et inquiétant, le système capitaliste – fondé en partie sur l’exploitation intensive de ressources finies – présente de nombreuses limites. Le défendre comme tel et le soutenir est devenu de plus en plus difficile, voire quasiment impossible. Il apparaît alors primordial de repenser les nouvelles responsabilités de celles et ceux qui sont à la manœuvre de ce système insoutenable. Repenser ces responsabilités revient notamment à s’interroger sur la formation de ces leaders issus jusque-là d’un mode de pensée anthropocentré et donnant la primauté à l’économie, vision dont la crise nous révèle qu’elle est finalement très partielle.

Former les leaders de demain à mieux appréhender la complexité et la complémentarité des enjeux du XXIème siècle, c’est fondamental. Cela revient à réviser les cursus de formation, notamment en matière d’économie et de management, afin qu’ils puissent développer et adopter une véritable approche interdisciplinaire et transdisciplinaire des sujets. Jusqu’à très récemment, aucun cours obligatoire n’était donné sur les questions écologiques et climatiques dans les écoles de commerce. Il faut enseigner et transmettre différemment.

Les 6 portes de la transition

Pour comprendre les interdépendances existantes, nous ne pouvons plus continuer à étudier un sujet à travers un seul et unique prisme. L’enjeu d’une démarche inter- et transdisciplinaire consiste à nous faire ouvrir les yeux et élargir notre champ d’observation pour arriver à voir, sentir et intégrer la complexité du monde dans lequel nous vivons. Ainsi, dépasser le cloisonnement académique traditionnel des savoirs est essentiel pour parvenir à structurer une pensée systémique. C’est tout l’exercice que nous essayons de réaliser au cours des formations que nous dispensons au Campus de la Transition, éco-campus situé sur le domaine de Forges en Seine-et-Marne. Prenant appui sur la méthode développée dans le Manuel de la Grande Transition (Les Liens qui Libèrent, octobre 2020), nous avons ce souci permanent de relier les savoirs et croiser les perspectives. Pour cela, nous proposons une approche par « portes » : six « portes » pour « entrer » dans la transition et approfondir les questions écologiques et sociales. En fonction des thématiques, nous proposons ensuite une grille de lecture reliant les portes entre elles. Bien évidemment, chacun est libre de suivre un autre chemin en fonction de ses propres sensibilités. Cette démarche se veut évolutive, dynamique et plurielle, à l’image du monde dans lequel nous vivons.

La porte NOMOS est relative à l’analyse des défaillances des règles du jeu actuelles au regard de l’intégration structurante des questions écologiques et sociales dans nos modèles économiques et nos modes de vie. Elle présente notamment un cadre de responsabilités d’entreprise, appuyé sur des enquêtes menées dans différents pays depuis une vingtaine d’années : il permet d’insister – en convergence avec de nombreuses propositions actuelles – sur la transformation nécessaire de nos manières de créer et partager la valeur économique et financière.

Démocratie écologique

Ceci peut passer par l’intégration du coût de maintien du capital naturel et humain dans la comptabilité d’entreprise ; par la révision des pratiques fiscales de manière à lutter contre les pratiques d’optimisation dommageables ; ou encore par l’obligation des entreprises à assurer un devoir de vigilance à l’égard des violations de droits fondamentaux tout le long des chaînes de valeur. Ceci va de pair avec la lutte contre les inégalités de revenus et avec la mise en œuvre de démocraties écologiques dans lesquelles ceux et celles (individus et institutions) qui ont la capacité à payer assument les coûts associés aux changements économiques et sociaux nécessaires (porte ETHOS). De telles perspectives impliquent de combiner le regard sur les normes à changer avec les récits de la transition désirable (porte LOGOS) et les initiatives déjà porteuses de changement (porte PRAXIS).

Finalement, « le leader idéal » de demain sera celui ou celle qui saura développer une vision systémique des enjeux environnementaux, sociaux, politiques, techniques, financiers, etc. Il, ou elle, aura une vision de l’horizon suffisamment étendue pour connecter les sujets entre eux, comprendre les priorités, repenser les systèmes et proposer des trajectoires de transition soutenables et équitables. Il ou elle sera capable de favoriser une action citoyenne dans son entreprise et dans diverses enceintes. Sans aucun doute, ces leaders seront sortis d’une grille de lecture purement financière où seul l’enrichissement économique compte. Ils seront capables de penser l’articulation entre bien-être, résilience, et sobriété ; termes qui en effraient encore beaucoup aujourd’hui.
Le « leader de demain » ne sera donc plus celui ou celle qui dicte et dirige mais bien le porte-parole et le représentant de cette nouvelle vision d’un monde viable et enviable.

Bien évidemment, il ou elle ne pourra pas agir seul. « Le leader de demain » devra favoriser des démarches collaboratives pour permettre au plus grand nombre de se mettre en mouvement et d’agir en faveur du bien commun. Nous avons donc besoin de leaders qui développent des savoirs, savoir-être et savoir-faire avec des compétences pratiques, techniques, politiques, mais aussi relationnelles et émotionnelles. À bon entendeur !

Cécile Renouard
Présidente, Campus de la Transition | Directrice scientifique du programme CODEV, ESSEC Business School | Professeure, Centre Sèvres

Avec la contribution d’Elaïne Vetsel