Imposer la RSE face au profit : comment faire ?

La vision du Groupe Bouygues au sujet de l’instauration d’une stratégie RSE orientée vers la décarbonation

Dans le cadre des Talks du Capitalisme Responsable, le Master 122 – Droits & Responsabilité sociétale des entreprises – en collaboration avec l’Institut du Capitalisme Responsable, a animé le 1er mars 2022 le débat « Imposer la RSE face au profit : comment faire ? » en présence de Fabrice Bonnifet. Ce dernier est intervenu en sa qualité de Directeur Développement Durable et Qualité Sécurité et Environnement du Groupe Bouygues, mais également de Président du Collège des Directeurs du Développement Durable. Il est par ailleurs administrateur du The Shift Project.

En 2021, 25 à 30% des émissions de gaz à effet de serre étaient dues au secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP). Le géant Bouygues (installé dans plus de 65 pays) cumule à ces activités de construction, celles dans les télécoms ou les médias et a donc un rôle majeur à jouer face au réchauffement climatique. Cet entretien était l’occasion pour le groupe de détailler sa stratégie RSE, soit leur prise de conscience de leur part de responsabilité sur les enjeux environnementaux, sociaux et sociétaux.

Comment concilier profit et respect des enjeux environnementaux ?

  • Les labels comme baromètre de la qualité de la stratégie RSE

Face à l’emploie croissant des labels, Bouygues utilise des labels sectoriels. En effet, l’emploie de labels génériques validant la politique RSE dans son ensemble, tels les labels LUCIE (label en lien avec la norme ISO 26 000) ou la certification Afnor, est rendue difficile par la diversité des domaines dans lesquels intervient le groupe.

Par ailleurs, Fabrice Bonnifet insiste sur la nécessité de passer par des labels d’Etat, reconnus et contrôlés par des tiers. Les labels auto-proclamés manquent de crédibilité. Cette affirmation est paradoxale quand on constate que Bouygues construction a lancé en 2020 son propre label en matière de chantier, TopSite…

  • L’application de la stratégie RSE aux sous-traitants

D’ici 2030, le groupe Bouygues s’est engagé à diminuer sa production de gaz à effet de serre de 30 à 40%. Or, le conglomérat a bien conscience qu’il ne peut espérer être crédible s’il n’entraîne pas dans son sillage ses sous-traitants et ses fournisseurs. C’est pourquoi le groupe, adoptant une vision intégrée de la RSE, invite l’ensemble de ses partenaires à suivre sa stratégie de décarbonation au même rythme que lui. Mais plus qu’une simple invitation, le groupe possède un réel pouvoir pour forcer ses partenaires à l’adhésion de ces politiques environnementales : celui du choix de ses partenaires. Désormais, la mise en œuvre d’une stratégie de décarbonation chez ces fournisseurs est un élément déterminant dans le choix de celui avec qui le groupe travaillera, aux côtés des plus traditionnels critères relatifs aux délais et aux coûts.

  • La stratégie RSE comme arbitre du respect des enjeux sociaux et environnementaux

Le groupe Bouygues se veut être le leader dans le respect des droits humains, notamment sur ces chantiers, et investit beaucoup d’argent dans la prévention des accidents. Le respect de ces normes de sécurité est d’ailleurs un élément décisif dans le choix d’intervenir ou non sur un chantier. Pour l’heure, l’impact d’un chantier sur l’environnement n’est pas autant pris en compte, regrette Fabrice Bonnifet. Pourtant s’il fallait choisir entre le respect des droits de l’Homme et le respect de l’environnement, il choisit le second car sans respect de l’environnement rien n’est possible à l’avenir.

Être durable est-il synonyme de décroissance ?

  • La distinction entre décroissance et récession

Y a-t-il une différence entre décroissance et récession ?

La décroissance est bien différente de la récession. Aucune entreprise ne souhaite un retour à la récession. A l’inverse, aujourd’hui toutes les entreprises mettent en place des plans de réduction d’émission des gaz à effets de serre. La décroissance est donc fortement souhaitable et le groupe Bouygues y est favorable.

“Il y a trois différentes catégories de collaborateurs : les incompétents, les lâches et les lucides”

Pour commencer, les incompétents peuvent également être appelés les « climato-sceptiques ». Ce sont ceux qui n’ont pas compris le lien entre énergie, machines, matières premières et économie.
Par ailleurs, les lâches sont ceux qui sont parfaitement conscients que leur modèle d’entreprise est incompatible avec les ressources planétaires. Cependant, malgré cette pleine conscience, ils font croire que les choses peuvent perdurer telles qu’elles, sans avoir besoin de modifier leur modèle, notamment car “leurs fonctions et leurs salaires” dépendent de cette illusion.
Enfin, nous aurions les lucides qui sont ceux qui savent depuis longtemps que le modèle économique, de comptabilité et d’innovation doit changer. Ce sont les plus précieux aux entreprises puisque ce sont eux qui vont leur permettre d’évoluer et de perdurer.

  • Un exemple concret : les déchets

La loi relative à la lutte contre le gaspillage et l’économie circulaire a été promulguée le 10 février 2020. Cette dernière entend accélérer le changement des modèles de production et de consommation afin de réduire les déchets et ainsi préserver les ressources naturelles, la biodiversité et le climat.
« Le monde d’avant cohabite avec le monde d’après ». Face à cette loi, le groupe Bouygues est en pleine transition et fait encore face à des contradictions. Ainsi, le groupe continue de bâtir des bâtiments en béton mais construit désormais aussi des bâtiments hybrides à économie positive. Il faut, en effet, du temps pour faire évoluer un système aussi complexe, implanté dans de nombreux pays.
Suite à cette loi, le groupe Bouygues a changé sa vision du déchet. Ces derniers représentent effectivement un coût pour l’entreprise. Le groupe a alors décidé d’entreprendre plusieurs actions telles le fait de récupérer les matières premières afin de les remettre en état et de les réinjecter dans le circuit industriel avec une politique de réemploi.

Compte-rendu du Talk du Capitalisme Responsable du 1er mars rédigé par les étudiants du Master 122 de Dauphine
Ilona Arrouas, Selima Chahed, Annouk de Vries

Photo de Matthias Heyde sur Unsplash