Comment faire en sorte que la transition environnementale – difficile et coûteuse – soit également socialement responsable ?
27 juin 2023 | Dans le cadre des Rencontres du Capitalisme Responsable lors desquelles ont été remis les Grands Prix de l’Assemblée Générale et de la Mixité, Monsieur Stanislas Pottier, Senior Advisor to the General Management chez Amundi, a remis le Grand Prix du Dialogue et de la Démocratie Actionnariale. Lors de son allocution, il a tenu à souligner qu’il est essentiel de trouver un équilibre « entre l’implication dans la transition environnementale (…) et la responsabilité sociale ».
Quelles définitions de la transition « Juste » ?
Le vocable plus traditionnellement utilisé pour aborder la transition environnementale et socialement responsable est le terme de « Transition Juste », aujourd’hui – à mon sens – un peu galvaudé. Le terme de transition écologique « Juste » semble plus approprié.
La notion de « Juste » est très intéressante. Contrairement à ce qu’elle évoque spontanément, il ne s’agit pas de morale. Il faut la concevoir comme l’endroit « Juste » où l’on place le curseur en termes de vitesse, de déploiement, de transition, mais aussi en termes d’équilibre entre les engagements, les responsabilités, le partage de la valeur ou les efforts.
La notion de « Juste » est difficile à définir et à mettre en œuvre mais elle est absolument nécessaire. Les changements de pratiques induits par la transition écologique sont monumentaux. C’est une véritable révolution industrielle mondiale, qui implique également des modifications de comportement, de consommation et d’usage. Il faut faire vite mais ce ne sera pas tenable si tout le monde n’y trouve pas son compte d’une manière ou d’une autre. S’il n’y a pas une appropriation par les uns et les autres et le sentiment d’être traité de façon juste au sens d’un certain équilibre.
Si on essaye de définir la transition écologique « Juste », il faut aussi évoquer son caractère protéiforme. Car certains aspects de la transition écologique « Juste » ne sont pas spontanément évoqués. Il faut de façon générale trouver un équilibre entre l’investissement dans la transition environnementale, au-delà du seul climat, et la responsabilité sociale qui recouvre l’ensemble des sujets d’intérêt pour les citoyens, les salariés et les différentes parties prenantes de l’entreprise. On pourrait être un peu plus précis et considérer la transition comme « Juste » dès lors qu’on traite tous les aspects de la transition écologique, dont certains sont sociaux, de façon équilibrée.
Enfin, il y a la transition « Juste » au sens international, légitime puisque nous parlons d’enjeux globaux. A titre d’exemple, on a très longtemps délocalisé des productions parce qu’il était plus avantageux de le faire : avantages sur les coûts de revient, l’évitement de contraintes environnementales et sociales…
La responsabilité de la transition « Juste »
Il y a une responsabilité de l’ensemble des acteurs et des pays pour atteindre un équilibre de financement et d’accompagnement de la transition de l’économie de façon générale, à la fois là où c’est le plus efficace pour l’atteinte des objectifs communs et dans les pays et pour les populations les plus affectées et les moins outillées pour faire face.
Lors du sommet organisé par le Président de la République sur un nouveau pacte financier mondial, s’est posé la question du financement de la décarbonation. Comment organiser le financement de celle-ci dans les pays à faible revenus ?
La notion de « Juste » incombe à toutes et tous. Il ne s’agit pas uniquement d’une affaire publique. Ce n’est pas uniquement l’affaire des gouvernements. C’est aussi l’affaire des financiers, des entreprises. Comment intégrer cette responsabilité partagée dans les ambitions de transition ?
A titre d’exemple, chez Amundi, il y a environ 5 ans, nous avons – dans la lettre envoyée aux actionnaires en amont de la saison des Assemblées Générales – demandé une mise en regard des engagements carbone et des engagements en matière d’emploi. Nous incitions les émetteurs, sur chaque décision d’ordre stratégique, à systématiquement envisager l’impact carbone et l’impact emploi de la décision. Une manière simple d’aborder la transition « Juste » pour l’entreprise qui est très attendue sur sur son impact climat et environnement mais aussi sur sa contribution à l’emploi dans les territoires et à l’inclusion par le travail.
Nous avons également incité les actionnaires à interroger les entreprises sur le partage de la valeur, notamment sur la rémunération des salariés, des dirigeants et du management. Quelle était la structure de la rémunération ? Quels étaient les incentives ?
Quel plan d’actions pour le financement la transition « Juste » écologique ?
De quelle manière gère-t-on la transition carbone, écologique ? Il y a des investissements considérables à faire. Ces investissements doivent être répartis de façon équilibré entre les consommateurs, les contribuables, les investisseurs et les générations.
C’est ce qu’Yves Perrier, Président de l’Institut de la Finance Durable, avait mis en lumière dans le rapport « Faire de la place financière de Paris une référence pour la transition climatique : un cadre d’actions » remis à Bruno Le Maire au printemps 2022. Ce rapport qui s’inscrivait dans le cadre de l’alignement de la place financière de Paris avec les objectifs de l’Accord de Paris a donné lieu à de nombreuses propositions dont la création d’un Institut de la Finance Durable à Paris Europlace. Lancé en fin d’année dernière, l’Institut de la Finance Durable a adressé son premier rapport « Plan d’actions pour le financement de la transition écologique » à Bruno Le Maire le 26 juin 2023.
On retrouve dans ce rapport un chiffrage des investissements supplémentaires à faire – similaire à celui qu’on voit dans d’autres rapports. Je pense notamment au rapport « Les incidences économiques de l’action pour le climat » remis par Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz à la Première Ministre. De ces rapports, on retient le chiffre suivant : la transition nécessiterait entre 35 et 60 milliards d’euros d’investissements supplémentaires par an d’ici 2030.
A noter également que le rapport de l’Institut de la Finance Durable propose de cibler l’effort de l’Etat sur les populations qui en ont le plus besoin, et de lisser l’effort budgétaire dans le temps.
Finalement, le point critique est de rendre les projets de transition économiquement viables afin de déclencher les décisions d’investissements à la fois par les particuliers et par les entreprises. Le problème de financement n’est pas vraiment là dans la mesure où il existe une épargne considérable d’environ 6 000 milliards d’euros, dont environ 3 000 milliards d’épargne longue, avec des flux annuels qui sont importants et en augmentation (de l’ordre de 100 milliards d’euros par an). Une ré-affectation même marginale de cette épargne peut raisonnablement permettre le financement de cette transition.
Tout l’enjeu est de le faire de façon équilibrée, de venir en soutien des populations qui vont devoir engager des dépenses importantes pour l’amélioration de leur habitat ou pour leur mobilité, et aider les entreprises à investir sur les projets les plus difficiles à réaliser en raison de technologies non matures ou parce que l’entreprise est plus petite et a moins de surface financière pour aborder cette transition.
Si on veut que cette transition se fasse, il faut qu’elle soit acceptée, appropriée et perçue comme possible. Et on sait qu’elle est possible.
par Stanislas Pottier – Senior Advisor to the General Management chez Amundi