« Comment rester sereine face à des défis aussi impressionnants et aussi engageants ? »

A l’occasion des 6 ans de l’Institut du Capitalisme, Sophie Boissard, Directrice Générale du Groupe Korian, rappelle que « le capitalisme doit être responsable » et énumère trois conditions pour un capitalisme responsable, durable et juste.

A la tête d’une société, nous devons répondre de son action auprès de parties prenantes diverses et aux intérêts parfois antagonistes. Dans cette mission, comment s’assurer que l’on est responsable, que l’on sert la durabilité, que l’on agit justement ? 

Le capitalisme doit être responsable. Dans des sociétés démocratiques comme les nôtres, avec les valeurs qui sont les nôtres, affirmer que le capitalisme est par nature irresponsable reviendrait à rendre impossible l’économie de marché. En revanche, quand il dérape, il fait partie de nos fondements démocratiques d’assurer qu’il revienne à la responsabilité.  

Cela repose sur 3 conditions.

Assurer une juste gouvernance pour toutes les parties prenantes

Il ne faut jamais oublier que dans des sociétés, dans des institutions – qu’elles soient publiques ou privées – la gouvernance est la clé de voûte. Tout repose d’abord et avant tout sur une juste gouvernance au sein de l’entreprise. Une gouvernance où les parties prenantes doivent pouvoir se faire entendre. Chacun doit avoir une vision partagée des enjeux, bénéficier des informations exactes et doit pouvoir se faire entendre pour faire prévaloir ses intérêts.

On a souvent pu considérer qu’une entreprise capitaliste et sa gouvernance se résument à une Assemblée Générale des actionnaires et un Conseil d’administration. En réalité, on constate aujourd’hui qu’il faut ajouter au moins deux autres piliers. D’abord, les institutions qui assurent le dialogue social. Dans une entreprise comme Korian, avec 60 000 salariés, assurer le dialogue social au plus près des établissements, des lieux où le service est prodigué, est absolument essentiel. Pour cela, il convient de prévoir des temps et lieux dédiés aux parties prenantes externes, en particulier aux représentants des communautés servies.

Korian accompagne 800 000 personnes ponctuellement ou durablement à travers l’Europe. L’entreprise est donc confrontée à une multitude de situations individuelles très spécifiques, uniques et qui méritent chacune d’être prises en considération. Assurer un dialogue avec chacune de ces 800 000 personnes, sans parler des aidants ou des proches concernés, est un véritable défi. Le travail mené avec les associations, avec les institutions qui les représentent au plus près, est un travail fondamental.

Ensuite, pour assurer une juste gouvernance, il est nécessaire de conduire un dialogue structuré. Assemblée Générale des actionnaires, Conseil d’administration, conseils des parties prenantes ou comités de missions, institutions représentatives du personnel, sont aujourd’hui autant d’organes de gestion qui composent la gouvernance de l’entreprise. Chacune de ces parties prenantes doit avoir sa juste part de voix, de responsabilité sur la nature du service. Elles ont voix au chapitre sur les priorités à fixer, sur les conditions intrinsèques d’éthique garantissant le respect des engagements de l’entreprise.

On doit considérer la gouvernance, dans toutes ses dimensions, comme étant l’élément cardinal de la responsabilité. C’est cette gouvernance qui contrôle, sanctionne, définit la stratégie et le rôle de l’entreprise dans l’écosystème dans lequel elle évolue dans la durée. 

La régulation indispensable

Dans un secteur d’activité d’intérêt général comme celui du groupe Korian, le cadre est défini par les autorités publiques des différents pays et territoires dans lesquels l’activité s’opère. L’activité est financée, pour partie, sur des fonds publics.  La régulation est donc non seulement nécessaire, mais indispensable. 

En l’absence de régulation ou en cas de régulation défaillante, des situations extrêmement complexes et dommageables peuvent voir le jour. Depuis un an, une affaire secoue particulièrement le secteur des services de soin et d’accompagnement aux seniors : l’affaire Orpea.

 

« En l’absence de régulation, l’ensemble de l’édifice s’est effondré… »

 

 Dans le cas d’Orpea, les critères d’emploi, l’argent public, les critères de qualité n’ont pas été définis de manière claire et opposable. Ils n’ont pas été compris de la même manière par tous. A cela se sont ajoutés des contrôles insuffisants. En l’absence de régulation, c’est l’ensemble de l’édifice qui s’est effondré, et l’ensemble du secteur est aujourd’hui éclaboussé par les controverses.

Dans des secteurs d’activité aussi essentiels que les services de soins et d’accompagnement des seniors, de telles dérives sont totalement insupportables pour l’opinion publique, pour l’ensemble de l’écosystème et pour les parties prenantes internes.

La régulation, la bonne régulation, la définition de la norme sont cruciales. Il ne peut y avoir que de l’auto-régulation. On ne peut pas – dans des activités aussi sensibles – définir unilatéralement ce qui est juste, définir soi-même le niveau d’exigence, les attentes. On ne peut pas faire les questions et les réponses. Il est indispensable d’avoir un cadre opposable pour que l’entreprise sache par rapport à quoi elle se mesure, à quoi elle se confronte afin qu’elle puisse rendre compte de sa performance au sens plein du terme. Une performance qui n’est pas seulement financière,  mais avant tout extra-financière.

L’éthique et la culture au cœur de l’organisation humaine

La gouvernance, la régulation, la norme, sont essentielles mais in fine, ce qui rend responsable une institution, une organisation humaine, c’est d’abord l’éthique et la culture de celle-ci. Le mot « responsabilité » relève de l’ordre de l’éthique et de la morale. De l’éthique, de l’honnêteté, des principes individuels et notamment de ceux des dirigeants découlent la qualité, la justesse, la pertinence de l’action. Quelles que soient les règles que l’on empile, quelles que soient les obligations de reporting, on ne pourra jamais faire l’économie de s’interroger profondément sur l’éthique des dirigeants.

Là encore, dans le cas de l’affaire Orpea, on a pu constater que l’éthique défaillante d’une équipe de direction pouvait conduire toute une institution dans le mur et tromper la confiance de l’ensemble des parties prenantes.

Enfin, en tant que dirigeant, notre obligation première est de s’interroger profondément sur la culture que l’on veut imprimer à l’organisation. Comment veut-on la faire prospérer et la faire tenir dans la durée ? Quelles sont les valeurs, la devise, de l’organisation ?

Chez Korian, à l’aune des crises traversées, en particulier ces trois dernières années, la plus terrible de toutes fût celle du COVID. Pour nos services, il s’agissait d’une question de vie ou de mort, de courage dans des périodes où on ne savait absolument pas ce qu’était le virus. On ne savait pas si on s’exposait soi-même ou sa famille à être contaminé. Dans ce contexte, on a observé une bravoure et une résilience individuelle très forte face à des situations de très grande souffrance.

On s’est donc interrogé, réinterrogé sur nos valeurs. Qu’est ce qui fait qu’une organisation tient ou ne tient pas ? Qu’est ce qui fait que tout le monde ne s’est pas mis aux abris, en particulier pendant la première vague ? Qu’est ce qui fait que l’immense majorité est restée là, a continué malgré l’incertitude, en prenant des risques ?  

De cette crise est né un socle, une boussole, fondée sur la confiance, sur l’initiative et la responsabilité. Cette boussole gouverne aujourd’hui nos attitudes individuelles et les décisions qu’on prend collectivement. 

Avec beaucoup d’humilité, on sait tous que dans la vie quotidienne, on agit, on remet chaque jour en jeu son éthique et ses convictions personnelles. Il en est de même dans le monde de l’entreprise. Par-delà les indicateurs, les normes, les réglementations, il faut en revenir à des choses simples et profondes : s’interroger sur ce qui nous meut, ce pour quoi on veut être reconnu.