Entreprises et climat : une gouvernance doublement intégrée

L’Accord de Paris a ouvert un nouveau paradigme de l’implication des états dans la lutte contre le changement climatique ; c’est également le cas pour les entreprises : du statut d’obligées, elles sont passées à celui d’engagées. L’approche volontaire, prospective et résolument ascendante du traité signé à l’issue de la COP 21 implique une dynamique très différente du cadre rétrospectif, top-down et contraignant imprimé par le Protocole de Kyoto dans lequel s’est formaté la RSE depuis vingt ans. Une telle évolution suppose une inflexion de la stratégie climat des entreprises, en terme d’influence, de relation avec leurs parties prenantes ainsi que sur la définition, la mesure et la narration d’une trajectoire d’engagement qui s’inscrit au-delà des horizons temporels de communication de l’entreprise.

La production de scénarios, recommandée par la TCFD (Task Force on Climate-related Financial Disclosures) dans le cadre du Conseil de Stabilité Financière est un des outils qui répond le mieux à cette dynamique nouvelle. Censé rompre avec le syndrome du rétroviseur dans lequel s’enfermait l’analyse de performance environnementale et sociale des entreprises, cet exercice innovant promet aussi de briser la « tragédie des horizons, c’est-à-dire l’inaptitude du marché à prendre en compte les enjeux dont les risques sont généralement appelés à se matérialiser au-delà de sa ligne d’horizon temporel, dont on sait qu’elle est plutôt courte.  L’exercice pour autant, ne va pas de soi et la grande liberté qui est laissés aux entreprises dans l’élaboration de scénarios stratégiques à 20 ou 40 ans peut générer autant de scepticisme que la mise en œuvre du reporting RSE il y a 20 ans, en l’absence de tout soutien normatif pour les guider. Les outils se multiplient déjà, proposés par des consultants spécialisés, des institutions d’intérêt général telle que l’ADEME ou des ONGs comme Science Based Metrics mais il convient sans doute de rappeler l’utilité première d’une démarche conçue avant tout par le superviseur, à l’instar de l’art 173 français, comme un exercice en deux temps : d’abord d’introspection puis de projection. Il va sans dire que les deux phases de cet exercice ne doivent pas manquer de s’inscrire dans une approche résolument « intégrée » au risque de manquer son objectif.

La catégorisation de l’analyse des risques (transition vs physique) recommandée par la TCFD ne doit ainsi pas prévaloir sur le cadre de réflexion intégrée que nécessite l’élaboration d’une trajectoire de développement stratégique de l’entreprise, équivalente aux stratégies nationales bas carbone des pays dans lesquels elle opère et auxquelles elle se doit de contribuer. Cet engagement à très long terme conforme à la loi Pacte se conçoit comme une démarche de gouvernance doublement intégrée : d’une part à la vision prospective du modèle économique de l’entreprise et
en même temps
à l’alignement d’intérêt collectif exprimé solidairement par l’objectif de l’Accord de Paris. Deux axes qui forment la nouvelle matrice de matérialité des scénarios climat – très probablement complétés à moyen terme par les scénarios biodiversité et capital naturel – que les investisseurs et les parties prenantes attendent désormais des émetteurs.