EDITO | S'ouvrir !

Où est la frontière de l’entreprise ? Qui la trace ? Qui la surveille ? Comment la franchir ? Avec quel laissez-passer ? Ces questions vous font sourire… Elles viennent tout droit du monde « d’hier », d’avant-crise… quand l’entreprise, une fois les profits réalisés, réglait ses impôts à l’État, versait des salaires aux salariés, octroyait des dividendes aux actionnaires et investissait pour son devenir. Dans le capitalisme « d’avant », l’entreprise ne se considérait pas vraiment redevable du monde qui l’entourait, car c’était ainsi. Quelque part repliée sur son « intérieur », elle tenait pour acquis les apports de l’ « extérieur » : des infrastructures modernes, des routes sûres, un air pur, une eau saine, des ressources humaines de qualité.

L’entreprise de 2020 sait que la frontière avec l’extérieur n’existe pas, ou plus. Elle ne pourra plus embaucher des talents si son territoire est en crise – donc non attractif – ; elle ne pourra plus continuer à prospérer si elle impose à ses fournisseurs des prix toujours plus bas; elle ne pourra plus séduire les investisseurs si elle ne s’engage pas dans un programme de décarbonation. Les salariés qui franchissent la porte ne cessent pas pour autant d’être des citoyens, ils attendent de leur entreprise un comportement éthique. 

C’est parce que la frontière n’existe pas – ou plus – que le capitalisme responsable donne un rôle central à l’ouverture. L’entreprise doit s’ouvrir, vraiment, aux aspirations de ses parties constituantes que sont les salariés et les actionnaires, mais aussi à toutes ses parties prenantes et à la société civile dans son ensemble. Chacun de ces liens est en réalité une force qui connecte l’entreprise, comme une veine, à son environnement. Ne pas s’ouvrir, ce serait se contracter, s’enfermer, se condamner à la surdité, à la nécrose, à l’impasse. Le capitalisme responsable est complexe, biomimétique. 

Il ne s’agit plus seulement d’organiser un dialogue social avec les salariés mais un dialogue global avec toutes les parties prenantes : les entendre, les prendre en considération sans pour autant répondre systématiquement « oui » et verser dans la démagogie. L’entreprise doit prendre le temps nécessaire pour bâtir collectivement une route qui fasse sens. Ce n’est pas de la générosité. Cette construction collective sera – demain – le socle d’une résilience. Dans un monde où la crise est la norme, tous ces liens constitueront le bouclier de l’entreprise contre les chocs qui ne manqueront pas de se produire. 

De nombreux dirigeants et investisseurs seront – très probablement – bousculés, leurs ego égratignés, leurs certitudes remises en cause. Il leur sera nécessaire d’apprendre à naviguer autrement, différemment. Les stratégies strictement prévisionnistes sur lesquelles nous fonctionnions jusque-là deviennent de plus en plus inopérantes au milieu d‘une mondialisation qui réserve en permanence des traumatismes concurrentiels, réglementaires ou technologiques. Le cap doit être tenu depuis l’intérieur. Ce sont les engagements ESG que l’entreprise et les investisseurs ont pris devant témoins, internes et externes, et que certains appellent la raison d’être, ou encore la raison d’investir. Être un capitaliste responsable, c’est remettre ces engagements à la fois au centre et tout en haut de nos organisations, aux côtés des engagements.

par Caroline de La Marnierre, Fondatrice de l’Institut du Capitalisme Responsable